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Les rides de mars

Ici un songe fracassé, même si malgré tout demeure l'espoir d'en recoller un jour les morceaux; et là, tout à côté, un sanglant et interminable cauchemar. Bon gré mal gré, le Liban et la Syrie – ces deux jumeaux, comme se plaisait à le dire la propagande de Damas – ont longtemps partagé le même lit. Mais certes pas les mêmes rêves, et c'est le calendrier qui entreprend de nous le rappeler avec ces deux dates du 14 et du 15 mars. Presque jumelles, celles-là ...

Il y a exactement dix ans naissait la révolution du Cèdre, quand, peu après l'assassinat de Rafic Hariri, un million de Libanais se massaient dans le centre de Beyrouth pour réclamer le départ des troupes d'occupation syriennes. C'était chose faite dès le mois suivant, grâce aussi à d'intenses pressions internationales ; mais c'était sans compter avec une contre-révolution d'inspiration syro-iranienne qui vint stopper net le processus d'émancipation nationale alors que se multipliaient les attentats meurtriers. C'était sans compter non plus avec les erreurs de calcul du camp dit souverainiste. Car ce dernier ne sut pas toujours gérer convenablement l'énorme capital de sympathie populaire dont il était crédité, pas plus qu'éviter le retour à des structures traditionnelles et autres pratiques politiciennes d'un autre temps. Fracturé, privé de président de la République, le Liban se retrouve une fois de plus otage des rivalités régionales.

Que le tortionnaire d'hier ne soit guère logé à meilleure enseigne n'est évidemment pas matière à consolation, la Syrie affichant, au bout de quatre ans de guerre, plus de 210 000 morts et dix millions de déplacés, dont quatre ont dû chercher refuge dans les pays voisins. C'est par des manifestations pacifiques qu'avait débuté la contestation, dont l'objet se limitait à de simples réformes du système ; et c'est à dessein qu'une sauvage répression imprimait à la crise syrienne une connotation strictement guerrière.

La rébellion ne cessant de prendre de l'ampleur, le président Assad lâchait alors dans la nature des milliers d'islamistes qui croupissaient dans ses geôles qui eurent vite fait de laminer l'opposition démocratique et libérale, cible prioritaire du régime. Le Raïs baassiste entendait se poser ainsi en moindre mal, et même en mal nécessaire : un jeu dans lequel son père et prédécesseur Hafez el-Assad était passé maître, ce qui n'est visiblement pas le cas de l'actuel président. Car peut-on encore parler de crise syrienne à propos d'une mêlée mettant en jeu une telle multitude d'acteurs étrangers et dans laquelle Assad fils ne peut plus prétendre désormais au premier rôle : un Assad maintenu à flot par la grâce de la bouée diplomatique russe et du glaive de l'Iran et du Hezbollah, alors que le camp occidental n'a pas fini de se perdre en atermoiements ?

Non moins déroutants d'ailleurs sont les derniers développements en Irak, où conseillers militaires américains et pasdarans iraniens encadrent de concert, mais en feignant de s'ignorer, les troupes régulières et milices chiites œuvrant à la reconquête de Tikrit. Qassem Souleimani s'en allant bientôt cracher sur la tombe de Saddam Hussein : à l'heure où le Congrès US s'acharne à fragiliser la position de l'administration Obama dans les pourparlers sur le nucléaire iranien, quelle revanche posthume pour Khomeyni !

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

 

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