Je descends l'escalator. En face, un petit garçon monte avec sa maman. Il est un peu plus bas, à quelques marches de moi. Il a une bouille charmante, un petit bonnet rouge qui lui glisse sur le nez, un anorak marine. Tout à coup, comme au ralenti, il glisse sa main dans la poche intérieure de l'anorak, en sort un pistolet jouet et le pointe sur moi avec un regard glaçant. Cinq, six ans ?
J'ai passé un moment à me demander pourquoi. Pourquoi un enfant aurait ce geste hostile envers une personne qu'il ne connaît pas, qui ne lui veut ni bien ni mal, qui ne fait que passer. Ou bien est-ce justement cette neutralité de la cible qui légitime ou facilite la violence du geste. Je l'imagine adolescent ou adulte, allant par les rues l'arme sous la veste, récurée, lubrifiée, délicatement glissée dans le holster attaché près du cœur. J'imagine la fate assurance que confère l'engin à son porteur et la secrète supériorité qu'il lui donne sur autrui. C'est imperceptible mais c'est là, dans le ton de la voix, l'inclinaison du menton, l'aplomb du dos. Tout cela dit sans dire : ta vie est entre mes mains.
Avec une arme on a tous les droits, soit. Quels sont donc ces droits que l'on cherche à défendre au prix de la vie d'autrui ? Les porteurs d'armes de ma connaissance sont heureusement très rares. Quand je leur posais la question, ils disaient que c'était pour se protéger. Mais de qui ? D'un autre tueur potentiel, ou même virtuel, qui ferait d'eux des tueurs avérés? À d'autres. On a beaucoup ergoté sur le profil général des porteurs d'armes à feu. On a souvent dit que cette manie compensait de manière évidente une sexualité frustrée, une insécurité, une timidité maladive. C'est en effet le moyen le plus simple de s'octroyer gain de cause sans avoir à chercher ses mots. Pour un droit de passage, un problème de mur mitoyen, une jalousie insurmontable, pour une femme, une voiture, un bien, un train de vie, un bonheur inaccessible. Et tout cela finit par se teinter d'hostilité raciale, confessionnelle ou sociale, l'esprit de clan attisant et parfois justifiant la haine individuelle.
Mais pourquoi cet enfant m'a-t-il tuée ? Qui a-t-il vu faire ? Qui a pu lui inspirer ce geste, ce regard, ce pan ! Ce frisson de puissance ? Combien sont dans ce monde, dès cet âge sans encore le savoir, les candidats au meurtre pour cet ineffable frisson ? Ceux qui, un jour ou l'autre prendront, comme au temps des croisades mais en un obscur jihad cette fois, le chemin de contrées inconnues pour la seule promesse de tuer. Pour la franche camaraderie des insignifiants qu'une arme transforme en surhommes. Pour un Dieu vasouillard qui n'a rien demandé, mais au nom duquel on s'adoube coupeur de têtes, allumeur de bûchers, enleveur de sabines, serviteur muet. Au fond, la seule langue que possèdent en commun ces cagoulés de noir, ces porte-étendards d'un verset inversé, ces chevaliers de fortune qui affluent de tous les coins du monde, est le silence. Gavés de doctrines absurdes et de fatwas perverses, les paroles du réel leur échappent. Mais quelle importance, quand tuer vous donne le dernier mot.
La grâce d’Isis
OLJ / Par Fifi ABOU DIB, le 26 février 2015 à 00h00
commentaires (6)
le pistolet a toujours ete le jouet prefere des garcons hier comme aujourdh'ui ce n'est pas parceque les violences sont maintenant odieuses que cela changera les filles jouent avec des poupees , ls garcons avec ds revolvers c'est tout rien de plus
LA VERITE
14 h 12, le 26 février 2015