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L’épreuve du feu

À plus d'un titre, l'atroce fin du pilote jordanien al-Kassasba, capturé puis brûlé vif par Daech, est riche de leçons.

La première de celles-ci a trait à la conduite de la guerre, dans ses deux volets technico-militaire et psychologique. Révolu est le temps des chevaliers du ciel, matière à d'innombrables romans. C'est le plus souvent à des dizaines de kilomètres de distance de l'objectif que sont actionnés les gadgets électroniques qui, presque à coup sûr, auront raison des cibles ennemies. Or, l'affaire ne se résume pas pour autant à un jeu video, comme vient de l'illustrer l'horrible épisode de mercredi. Dans le cas très particulier des frappes aériennes visant, depuis des mois, l'État islamique, les aviateurs de la coalition internationale ne risquent plus seulement en effet de périr dans l'explosion de leurs appareils si ceux-ci venaient à être touchés. Éjectés sains et saufs avec leur parachute, c'est une mort considérablement plus horrible qui les attend peut-être au sol : tel est précisément le terrifiant message que véhiculait mardi le supplice filmé de l'infortuné officier jordanien.

Message instantanément bien reçu, puisque ces épouvantables images hantent fatalement désormais les équipages de bombardement, toutes nationalités confondues. Message que percevaient, que redoutaient avant l'heure les Émirats arabes unis qui, dès la capture d'al-Kassasba, dénonçaient les failles du dispositif américain – notamment en matière de récupération des aviateurs abattus – et suspendaient leur participation aux frappes. C'est donc après coup, jeudi seulement, que le Pentagone annonçait l'installation, dans le nord de l'Irak, c'est-à-dire au plus près des zones bombardées, des unités de sauvetage héliportées : lesquelles, on ne sait trop pourquoi, étaient précédemment basées dans le Koweït relativement lointain. Belle (et élémentaire) leçon de bon sens militaire administrée à la plus puissante armée du monde par un État qui en est encore à son baptême du feu...

Plus dramatique, et pour cause, aura été la réaction de la Jordanie, dont le monarque a fait preuve, tout à la fois, d'une impitoyable fermeté et d'une remarquable sagacité. L'exécution de deux jihadistes précédemment condamnés à mort a bien pu susciter quelques froncements de sourcils dans une Europe hostile à la peine capitale ; mais elle a été promptement suivie de la remise en liberté d'un illustre prédicateur d'el-Qaëda dont Amman attend, en échange, une condamnation sans appel de l'inhumaine cruauté des hommes de Daech. Écourtant précipitamment une visite officielle à Washington, le roi Abdallah se trouvait aux côtés de la tribu des al-Kassasba, au moment précis où sont apparus, au-dessus de la foule, une trentaine de chasseurs-bombardiers retour d'un raid de représailles mené aussi bien en Irak qu'en Syrie. Et les imposantes manifestations d'hier ont fini de démontrer que le Trône a réussi à réaliser une improbable union sacrée, à donner une légitimité populaire à la lutte contre l'EI, alors qu'hier encore, bon nombre de ses sujets passaient pour prêter une oreille complaisante aux chants de sirène des jihadistes. De la poigne, mais de la cervelle aussi : du coup, il est déjà question d'augmenter sensiblement l'assistance d'un milliard de dollars par an qu'octroient les États-Unis au royaume hachémite.

Rien moins qu'édifiante, en revanche, est la troisième leçon qui nous vient, celle-là, du Caire. Et qui mérite bien, celle-là, d'être renvoyée à ses auteurs pour grave vice de fabrication. Il a toujours été évident que c'est en priorité à l'islam responsable qu'il incombe de faire faire barrage face aux criminels qui ont dévoyé dans une orgie de sang les préceptes du Coran. Le grand imam du prestigieux al-Azhar en est visiblement convaincu, qui a condamné l'intolérable supplice infligé au pilote jordanien. Mais quel funeste excès de zèle l'a porté à réclamer, pour les monstres, des châtiments aussi effroyables que la mutilation ou la crucifixion? Oui, par quelle sinistre logique la barbarie légale serait-elle donc l'antidote à la barbarie jihadiste ?

Copie à retravailler. Pour le plus grand bien de la religion du Prophète.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

À plus d'un titre, l'atroce fin du pilote jordanien al-Kassasba, capturé puis brûlé vif par Daech, est riche de leçons.
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