À l’attention de Aya Abdel Fattah al-Sissi

Quand je veux faire passer des messages à mon ex-mari, j'utilise ma fille. Je sais, ce n'est pas joli joli, mais voilà, je le fais. Je le faisais déjà avant qu'il ne quitte la maison. Sur la fin.
Un jour, ma fille s'est rebiffée. « Le messager, c'est celui qui finit par payer les pots cassés », m'a-t-elle lancé. J'ai eu tellement peur qu'elle mette fin à sa mission, que je suis immédiatement montée sur mes grands chevaux. « Walaw, ma chérie ! Comment peux-tu penser que moi et même ton père puissions t'en vouloir de quoi que ce soit après la transmission d'un message, aussi mesquin soit-il. » Elle m'a fixé un moment, attendant que je flanche, je n'ai pas flanché, alors elle a levé les yeux au ciel, soupiré et n'a plus fait de commentaires au sujet de la charge qui lui était tombée dessus.
J'ai eu raison. L'expérience montre qu'à travers elle, les messages passent. En plus, de par sa profession – elle est avocate ma fille –, elle sait trouver les mots. Mieux que moi en tout cas.

C'est pour cela que je m'adresse à vous aujourd'hui. Aya, il faut que je vous parle de votre père. Et que vous lui parliez.

Ma fille me reprochant de trop me gaver de séries télévisées, j'ai suivi les nouvelles ces derniers temps de manière un peu plus assidue. Il y en avait beaucoup pour votre papa et son régime, Aya.
Je ne vais pas y aller par quatre chemins, je pense que vous êtes en âge de comprendre. Si j'ai réussi, avec mesure et respect, à faire comprendre à ma fille que son père était à la fois un homme probablement respectable mais aussi une parfaite andouille, je pense pouvoir dessiller vos yeux quant à votre géniteur.
Comment vous résumer la chose ? L'attelage respect des droits de l'homme et Sissi ressemble de plus en plus à un oxymoron. Entendez-moi, je n'avais pas d'appétence particulière pour son prédécesseur et ses frères, mais sous le règne de votre père, reconnaissez-le, on n'y va pas avec le dos de la cuillère.

Savez-vous, Aya, que chez vous, les juges ont tendance à condamner par pelletées. Aux informations, ils ont parlé de 183 condamnations à mort. D'un coup. J'ai noté le chiffre tellement il était énorme. J'ai noté un autre chiffre aussi : 39 mineurs, des enfants donc, condamnés à la prison. Et un troisième : 239 anti-Moubarak condamnés, d'un coup là aussi, à la prison à vie.

Et puis il y a Shaimaa. Shaimaa al-Sabbagh. Et Santos. Santos Reda. La première morte dans une ultime étreinte sur un trottoir du Caire, touchée d'une balle dans le dos. La seconde tuée à Alexandrie. Deux manifestantes, deux femmes que tout opposait, à l'exception de leur opposition à votre papa. Mourir parce qu'on est contre la politique de votre papa, tout de même... Et puis ces journalistes, derrière les barreaux. Et ces manifestations, interdites. Ces morts...

Aya, vous êtes une grande fille, vous devez comprendre que votre père est atteint d'un double mal : une forme de mégalomanie – si si Aya, il faut le reconnaître – et de complotite aiguë. « On dirait que ce Sissi voit des Cabonari partout », dirait ma fille. Elle a un goût prononcé pour l'histoire. Moi, ça me rappelle plutôt mon ex-mari. Mais c'est une autre histoire.
Aya, je vous parle comme à ma fille. Si vous avez l'oreille de votre papa, touchez-lui un mot de ce qui se passe chez lui. Chez vous.

Bien à vous,

Jacqueline A.

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