Une mère suffit !

Lorsqu'on me demande (question d'ailleurs très indélicate) pourquoi je suis encore célibataire à 30 ans, et comme je ne peux parler de mes raisons personnelles (bagage émotionnel) qu'à mon psy (oui, je sais, c'est lui qui est soumis au secret professionnel, pas moi), j'évoque plutôt l'autre raison, universelle (puisque, comme tout Libanais qui se respecte, je considère le Liban comme le centre de l'univers) : je ne veux tout simplement pas d'une mère supplémentaire ; j'arrive à peine à gérer celle que j'ai.
Eh oui, la triste vérité, c'est que l'homme libanais, aussi macho qu'il se veuille et se croie, ne coupe jamais le cordon ombilical. Angoisse de séparation, peur de devoir apprendre à faire la vaisselle ou présence d'un gène dominant que les Libanais se passent de génération en génération, quoi qu'il en soit, le fait est que M. X restera toujours le fils de Emm X, qui s'est créé toute une identité autour de ce héros, ce dieu « des fesses duquel elle voit le soleil se lever », ce fils pour lequel elle veut trouver la femme la plus belle, la plus intelligente, la plus coquette, la plus obéissante, la plus agréable, la plus calme, la plus travailleuse, la plus dédiée à sa famille ; la meilleur cuisinière, ménagère, gérante, mère, la mieux vêtue et la mieux vue, un mélange de Monica Bellucci et de Koussouma, de Hilary Clinton et de « Harim el-sultan ». Une femme que même les efforts de Zeus et Frankenstein réunis n'auraient pu créer. Et cette créature, qui aura toutes les vertus physiques et morales possibles et imaginables, devra renier sa famille, tout oublier de sa vie antérieure et le suivre (il est bien un dieu après tout). Elle l'idolâtrera et tentera de lui reproduire l'atmosphère originelle jusque-là assurée par sa mama bien-aimée, mais échouera inéluctablement, le faisant revenir en courant au giron maternel plaindre sa malchance et mêler ses larmes à ceux d'une mère dépitée. Parce que aucune femme sur cette terre libanaise (et encore moins à l'étranger !) ne sera digne de son bébé, ni capable de prendre le relais. Et parce que je suis fille unique et que, pour mes parents, « mon pet vaut le monde entier », je suis encore moins apte à me plier aux lois intransigeantes des mères libanaises et au besoin malsain de leur fils de me faire jouer le rôle principal dans Becoming Eve.
Alors, adieu mariage, mieux vaut être célibataire et maîtresse de soi que mariée et maîtresse d'une mentalité archaïque.

Patricia MOUKARZEL