Les manifestations "contre l'islamisation" en Allemagne font écho à un sentiment de crise identitaire qui traversent actuellement plusieurs régions d'Europe, confrontées ou non à une immigration massive.
"En Europe en général, il y a une angoisse, une phobie anti-islamique, qui se développe", juge le militant de gauche Daniel Cohn-Bendit, élu successivement eurodéputé des Verts en Allemagne et en France, à propos des manifestations organisées en Allemagne par le mouvement Pegida, les "Européens patriotes contre l'islamisation de l'Occident".
Lundi à Dresde, capitale de la Saxe (est), un nouveau défilé de Pegida a rassemblé 18.000 personnes, un record depuis octobre, date du début de ce mouvement dont les cibles sont, pêle-mêle, l'islam, les médias ("tous des menteurs") ou les élites politiques, accusés de diluer la culture chrétienne allemande.
"Les drapeaux de Saint Georges flottent à Dresde avec Pegida : s'il y a un endroit où je voudrais être en ce moment c'est bien Dresde", twittait lundi le militant de droite britannique Tommy Robinson. La drapeau de Saint Georges était la bannière des chrétiens, au XIe siècle, lors de la Reconsquista et des croisades contre les musulmans.
La classe politique allemande a condamné ces défilés, aux cris de "Nous sommes le peuple", et plusieurs contre-manifestations ont eu lieu lundi. La chancelière Angela Merkel a fustigé la "haine" qui anime ces rassemblements.
"Nous ne sommes malheureusement pas un pays très accueillant pour les étrangers", estime le psychologue allemand Rolf van Dick, de Francfort, qui rappelle que, selon les sondages réalisés entre 2000 et 2010, de 20 à 30% de la population soutient des positions islamophobes. Les musulmans ne représentent pourtant que 5% de la population totale en Allemagne.
"Ce qui est remarquable, c'est que le phénomène n'est pas dû à la crise. L'Allemagne va bien. Et à Dresde, il n'y a pas de musulmans. Mais les gens ont l'impression de vivre les horreurs de l'Etat islamique. On s'effraie, par mondovision et par internet. Voilà comment vous pouvez être au fin fond de la Saxe et avoir l'impression d'être agressé !", explique Daniel Cohn-Bendit.
"Quand on n'a pas de contacts avec les autres, qu'on ne les connaît pas, on a peur d'eux", renchérit un fonctionnaire européen. "On a vu ça pour le référendum sur les minarets, en Suisse. Ceux qui vivent dans les villages reculés, et donc les moins concernés, ce sont eux qui étaient les plus hostiles aux minarets", ajoute cet expert européen, qui a requis l'anonymat.
"La réalité du terrorisme international, et intérieur dans un certain nombre de pays européens, donne une légitimité à ces manifestations", complète la sociologue française Catherine Wihtol de Wenden.
Mosquées incendiées
La Suède, dont la population s'enorgueillit du bon accueil réservé aux immigrés, attend cette année 100.000 demandeurs d'asile, soit plus de 1% de ses 9,6 millions d'habitants. Mais le parti d'extrême droite des Démocrates de Suède est devenu la troisième force politique du pays en surfant sur les implications sur le long terme d'une immigration de masse. Et les incendies dans trois mosquées ont été perçus comme le signe d'une islamophobie grandissante, même s'il semble que le premier de ces sinistres soit en fait accidentel. Pour exprimer leur solidarité avec leurs compatriotes musulmans, de nombreux Suédois sont descendus vendredi dans la rue.
En France, un pays où vit comme en Allemagne une forte communauté immigrée, un débat a lieu dans les médias sur la thèse de l'écrivain proche de l'extrême droite Renaud Camus, brandissant la menace d'un "Grand remplacement" qui verrait l'immigration musulmane dominer le Vieux Continent.
La sortie cet automne d'un livre, "Le suicide français", dans lequel le polémiste Eric Zemmour, condamné en 2010 pour incitation à la haine raciale, s'en prend à l'Europe et à l'immigration comme causes des malheurs et des doutes des Français, a donné une nouvelle dimension au débat.
De même que la parution cette semaine du dernier livre du romancier Michel Houellebecq, "Soumission", qui décrit précisément une France dirigée par un président issu de l'islam après sa victoire au deuxième tour des présidentiel et grâce au soutien de la gauche et la droite contre la candidate de l'extrême droite en 2022.
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commentaires (6)
Et non pas d'un risque d'"américanisation" ?!
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
08 h 08, le 08 janvier 2015