Le Liban otage d’un cercle vicieux

Une médiation après l'autre, le Liban reste à la merci du bon vouloir d'un groupe de combattants cachés dans les grottes du Qalamoun, qui n'en finissent plus d'humilier l'État et de torturer les militaires pris en otages et leurs familles. Ils reçoivent les visiteurs de leur choix et envoient des messages dans toutes les directions avec une cruauté bien étudiée. La dernière en date des manœuvres des ravisseurs a été de faire appel au cheikh salafiste Wissam Masri qui s'est rendu jeudi dans le jurd et a vu certains des militaires prisonniers. Le cheikh est revenu avec de mauvaises nouvelles, d'abord sur l'état de santé de deux des otages, et ensuite sur le fait qu'il n'a pas pu obtenir des garanties sur le fait que les ravisseurs ne tueraient plus les otages. C'était réellement bien la peine d'entreprendre une telle démarche si c'était pour revenir avec de tels résultats. Mais tels sont ces groupes de ravisseurs qui manient à merveille la terreur et une cruauté sans limites.

Selon un spécialiste des mouvements takfiristes, Daech est sans doute le pire de tous ceux qui ont été créés jusqu'à présent. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le livre culte de ce groupe, qui expose en quelque sorte son idéologie, s'intitule La gestion de la barbarie. Autrement, il s'agit d'exploiter la barbarie comme un moyen d'atteindre des objectifs politiques ou stratégiques. Il s'agit donc d'une action rationnelle et consciente qui vise à instrumentaliser la barbarie et la sauvagerie. Dans ce contexte, le spécialiste des mouvements extrémistes fait la distinction entre Daech et le Front al-Nosra. Non pas que le second puisse être considéré comme un interlocuteur potentiel, mais il n'a pas le même projet stratégique que Daech. Ce dernier mouvement a clairement un projet expansionniste et un plan précis.

Au Liban par exemple, le Front al-Nosra veut des négociations avec l'État libanais au sujet des militaires otages qui sont entre ses mains, alors que Daech ne cherche pas une solution à ce dossier. Au contraire, avec le machiavélisme odieux de ses chefs, il considère que les militaires qu'il emprisonne sont un outil très efficace pour affaiblir l'État libanais et permettre ainsi au mouvement d'éliminer un obstacle potentiel à son expansion au Liban au moment où il le décidera. Ensuite, la carte des militaires otages lui permet d'approfondir le fossé qui oppose les sunnites et les chiites au Liban, ce qui dérange le Hezbollah et entrave son action dans de nombreuses régions libanaises. Enfin, ce dossier affaiblit l'armée libanaise et détruit le moral de ses soldats, alors que l'armée, le long de la frontière, est en première ligne dans le combat contre Daech. En d'autres termes, le dossier des militaires otages est une carte maîtresse pour Daech et le mouvement n'a aucune raison de la brader ou de chercher une solution qui la lui ferait perdre. D'ailleurs, des sources militaires estiment que le mouvement a pour objectif de capturer d'autres otages puisque ce procédé s'est avéré très efficace. Le Front al-Nosra pourrait donc être plus ouvert à un éventuel accord sur l'affaire des otages, mais comme une partie de ces derniers sont entre les mains de Daech, il est donc difficile d'envisager une solution dans un délai rapide.

Justement, au sujet de la solution, les avis sont partagés. Certains pensent qu'il faudra bien arriver à un accord sur l'échange de prisonniers, et d'autres estiment au contraire que cet échange n'aura pas lieu parce que Daech considère que l'usage de cette carte n'a pas encore expiré. Le problème, c'est que ces divergences existent au sein du gouvernement et même de la cellule de crise où les membres ne parviennent pas à se mettre d'accord sur un plan unique. Même si l'on considère que le zèle de certaines parties est dicté par leur volonté de contribuer rapidement à une solution rapide, le comportement général du gouvernement montre une grande confusion, beaucoup de tâtonnement et une absence de stratégie. Au point qu'une source du 8 Mars est convaincue que certaines parties au sein du gouvernement font tout pour favoriser un seul choix, l'échange de prisonniers, alors qu'en lui-même, cet échange est déjà une humiliation pour l'État et pour l'armée puisqu'il s'agit de relâcher ceux qui les ont attaqués.

Certes, un tel dossier ne peut pas être réglé sans un prix que devra payer l'État libanais, mais c'est comme si tout était fait pour que ce prix soit le plus élevé possible. D'autant qu'avec la pseudo-mission de cheikh Masri jeudi, il est désormais clair que Daech ne veut pas d'un échange rapide et cherche à relever encore le prix que devra payer l'État. Après tout, pourquoi voudrait-il que ses hommes soient relâchés puisqu'ils sont bien traités dans la prison de Roumié où ils imposent leur loi aux geôliers, disposent de téléphones portables et d'Internet à volonté, tout en recevant chaque jour des plats chauds ? Les prisonniers islamistes de Roumié ne sont pas indispensables aux groupes dont ils sont membres, mais ils seraient utiles à la justice libanaise si elle décidait un jour d'ouvrir leur procès. Ce qui ne semble pas être imminent. Le dossier des militaires otages est donc enfermé dans un cercle vicieux qui profite aux ravisseurs et mine l'autorité, le prestige et la cohésion de l'État. N'est-il pas temps de songer à renverser la donne ?

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