À l’attention du lumbersexuel,

Et moi qui pensais, de par mon passé d'institutrice, certes libanaise, mais dotée d'une longue expérience en milieu scolaire parisien, maîtriser un minimum la langue française. La remise en question est difficile passé un certain âge.
Tout a commencé au petit déjeuner avec ma fille. Entre deux cuillérées de cornflakes, elle s'emporte sur une histoire de rapport sur des actes de torture perpétrés par la CIA.
Elle était particulièrement remontée ce matin-là. La veille, elle était rentrée tard. Je ne lui ai jamais dit, mais j'ai du mal à m'endormir tant qu'elle n'est pas à la maison. Elle râlait. Je pense qu'elle s'était disputée avec son fiancé. Il est avocat. Comme elle.
Le lendemain matin, je me suis réveillée un peu plus tôt que d'habitude, j'ai préparé la table du petit déjeuner, je lui ai sorti ses céréales, son bol rose. En l'attendant, je lisais tranquillement le dernier Murakami.
Elle débarque, grommelle un « bonjour mum » auquel j'oppose un guilleret « bonjour ma chérie », elle s'assoit, attaque ses céréales et, entre deux cuillérées, me dit : « Ce monde est vraiment dégueulasse. » J'ai posé mon livre, enlevé mes lunettes. « Certes, ma chérie, mais qu'y a-t-il de nouveau ? » « Si tu savais, mum, ce que la CIA a fait niveau torture. Et les autres régimes tous plus pourris les uns que les autres qui poussent des cris d'orfraie. » Je ne peux pas vous dire à quel point je suis fière quand ma fille utilise de belles expressions comme ça.
Pendant que j'étais toute émue, elle continuait sa tirade. Mon émotion a buté sur deux mots.

« Une réhydratation quoi, ma chérie ? »
« Rectale, mum. Je ne peux pas te faire un résumé de l'actualité tous les matins ! Tu devrais suivre un peu plus », m'a-t-elle répondu. Sur ce, elle est partie sans boire son expresso. Ces derniers temps, elle a l'habitude de me laisser une bombinette avant de claquer la porte.

Après son départ, j'ai réfléchi. Peut-être a-t-elle raison, ma fille, peut-être devrais-je être un peu plus connectée à la marche du monde. Ce n'est pas bien de vivre dans une bulle.
Alors, je m'y suis collée. Je suis partie chez ma cousine qui habite un peu plus haut dans la rue. Il y a un ordinateur chez elle, son mari m'a ouvert les sites d'information.
J'ai failli tout refermer au bout de 10 secondes. Un pauvre jeune homme balancé d'un toit par des islamistes en Syrie, des massacres en veux-tu en voilà... La misère du monde qui vous tombe dessus comme une drache.
Mais j'ai repensé à ma fille. Je me suis accrochée. Évitant soigneusement les informations liées à notre triste Moyen-Orient, les photographies surtout, je suis allée vers celles des pays plus en paix.
Bonus écologique. Loi Macron. Prédistribution. Recours des entreprises à l'actionnariat salarié. Instagram. Je n'ai rien compris. Mais je me suis accrochée, vraiment. Jusqu'à ce que je tombe, dans Libération je crois, sur vous. Vous, le lumbersexuel... « Le lumbersexuel, nouvelle espèce qui envoie du bois ».

J'ai hésité un instant. Puis j'ai éteint l'ordinateur, récupéré mon sac ; je suis rentrée chez moi, me suis fait un café et j'ai rouvert mon Murakami.

Adieu,

Jacqueline A.

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