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Lifestyle - Hotte d’or

Tais-toi, Jean-Luc, tais-toi !

Jean-Luc Godard. Archives AFP

Mais chéri, chéri, il faut vraiment que tu arrêtes, ou je vais dire à Gilles Jacob de créer la Palme d'or du dépressif de l'année, non, de la décennie, ou plutôt du millénaire, rien que pour toi, répète-je pour la quatrième fois en essayant de sourire et en concassant sept pilules (trois de Xanax, une de Lexotanil, deux de Prozac et une de Seroxat) avec un peu de sucre glace Daddy, avant d'incorporer le tout très lestement dans sa flûte de champagne Bruno Evrard. Anita, j'ai 84 ans, tu n'y penses pas assez, pleurniche-t-il. J'ai claqué très violemment mes bottes Valentine Gauthier couleur cacao sur mon parquet Rocacher que j'ai failli rayer de rage. Arrête. Arrête de m'appeler Anita, Jean-Luc, c'est insupportable, ça fait soixante-sept ans que je te l'ordonne, tu ne comprendras que quand je cesserai de te recevoir! Il faut dire que ce crétin patenté, que j'adore plus que tout, certes, a toujours voulu m'épouser, et comme il aurait décidé très tôt, vers ses neuf ans, m'a-t-il révélé un jour, qu'il ne se marierait qu'avec des Anne ou dérivés : Anne Wiazemsky, Anna Karina et puis l'adorable A-Ma, Anne-Marie Miéville, il m'appelle Anita depuis 1947. Ce rat. Il était chez moi depuis 20 minutes, comme chaque 2 décembre, veille de son anniversaire, à déjeuner. Louisa avait servi : rituel immuable depuis des lustres, entre carpe polonaise farcie aux morilles rôtie au four, salade de radis noirs commandés de Malaga en Espagne, et carpaccio d'ananas aux groseilles. Le tout arrosé de Veuve Clicquot millésime 1964, date de son divorce avec la Karina. Il picorait à peine, cette fois-là. Il était encore plus grognon et dépressif que d'habitude. Je ne peux plus faire l'amour, rabâchait-il comme une horloge zurichoise. Louisa te mettra des tranches de gingembre frais du Népal dans un tupperware Fauchon, tu le ramèneras discrètement chez toi, ne râle plus, tu veux ouvrir ton cadeau ? Il grommelle quelque chose qui ressemble à même le Viagra ne sert à rien puis à un oui épuisé, et Louisa arrive toute moustachue et toute souriante portant un petit paquet enveloppé de satin bois de rose. Jean-Luc refoule sa joie et lève un sourcil. Je l'ouvre ? Mes yeux rehaussés d'un peu de poudre bronze Guerlain sont deux kalachnikovs, alors il se dépêche, déchire le satin, sort l'objet et me dit, comme s'il me demandait de lui passer un peu de sel noir des volcans de Hawaii que mon amie Sabine Kassouf entrepose dans son New Earth juste pour moi : Anita, tu es une putain maléfique. Je m'étrangle en lui crachant que ce manuscrit des frères Lumières acheté au téléphone chez Sotheby's m'a coûté plus cher que mes cinq derniers liftings réunis. Comment faire du cinéma en sept leçons. Comment faire du cinéma ?!!!
Qu'est-ce que tu insinues, petite vipère lubrique, cougar fripée et seule comme une bique, que je ne sais pas faire du cinéma ?
Ma réponse est brève : Je n'insinue rien, raton cacochyme, je dis juste que cela fait exactement vingt-neuf ans, depuis Je Vous Salue Marie, que tu ne fais plus de cinéma, tout ce que tu fais depuis, je n'y comprends strictement rien, et c'est autant du cinéma que je suis Madame Abou-Bakr el-Baghdadi, je vais te montrer ce qu'est le cinéma, mon pauvre raton chéri. Je rajuste dans un grand geste hugolien ma microrobe or-cuivre Alaïa dans laquelle pas plus tard que ce matin mon dernier amant, Rachid, un basketteur d'1m97 et de 20 ans, m'a honorée impérialement, entraîne mon JLG sur le canapé aubergine Jeff Koons, et lance mon B&O. Sur l'immense écran, Gouz marti, avec ma petite sœur adorée, qui refusait jusqu'à son dernier souffle d'habiter chez moi pour ne pas me déranger, mon matin splendide, ma Jeanne d'Arc, ma Sabah. Je regardais Jean-Luc du coin de mon mascara alourdi par mes larmichettes, il souriait sans bouger les lèvres, me demandant ce qu'il attend pour se mettre au travail et réaliser enfin son deuxième chef-d'œuvre après Pierrot Le Fou, qu'il intitulerait, il le faut, Margot La Folle, miam-miam.

Mais chéri, chéri, il faut vraiment que tu arrêtes, ou je vais dire à Gilles Jacob de créer la Palme d'or du dépressif de l'année, non, de la décennie, ou plutôt du millénaire, rien que pour toi, répète-je pour la quatrième fois en essayant de sourire et en concassant sept pilules (trois de Xanax, une de Lexotanil, deux de Prozac et une de Seroxat) avec un peu de sucre glace Daddy,...
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