Rechercher
Rechercher

Lifestyle - Tous les chats sont gris - Nightlife

« Tiens, qu’est-ce que tu fais là ?! »

Grand zoom, tous les samedis, sur un pan de la nuit libanaise, du nord au sud en passant par... Beyrouth.

Elle commence par colorier le ciel bleu de noir. Elle s'installe ensuite sur l'enseigne du bâtiment d'Électricité du Liban qui, rendant l'âme, n'illumine plus grand-chose. Ou peut-être si : la rue d'Arménie. Elle fait un stop par les bars de cette rue et de toutes les ramifications qui font Mar Mikhaël. Se glisse dans les shakers du Vyvyans, autour des 33 tours de Radio Beirut, sur la banquette de l'Internazionale. Elle trinque avec les aficionados des happy hours, poètes tatoués ou workoholics en costard-cravate. Elle avale son mojito et, légèrement éméchée, elle enchaîne sa tournée. Direction Hamra. Titille le voisin du dessus, particulièrement remonté contre les bars de cette rue festive. Bars remplis à craquer, trottoirs blindés, envahis par des groupes d'amis assis à même le sol avec des cannettes de bière ou des verres en plastique de whisky mélangé à du Coca. Hamra, c'est l'occasion pour elle de se réunir avec un bel attroupement pseudo-hipster composé de filles au rouge à lèvres pétant et de garçons à moustache qui portent des chemises imprimées. Ça discute au pire de l'influence de Kierkegaard sur Sartre, au mieux de la légalisation du cannabis en Jamaïque. Ça se veut tour à tour faux jumeaux de Lou Reed, petit-fils de Gainsbourg ou cousin éloigné de Bob Dylan.

Il lui arrive donc, généralement sur le coup de l'ennui, d'aller manger un petit bout. Elle s'affale sur la banquette du Beirut Cellar pour un comfort dinner d'enfer. Mais pas sûr que sa robe Vaccarello ne referme après les nachos-cheddar, la frankfurter et la salade iceberg roquefort ingurgités au gré d'une playlist surannée qui se répète à l'infini depuis l'ouverture du restaurant dans les années soixante. Elle opte parfois pour le bar à vin du Bread Republic, qui vire très souvent à un concert privé de Khaled Mouzannar à la guitare, sur fond de l'inimitable voix du proprio, Walid. Le tout arrosé par des verres de prosecco remplis par d'adorables serveuses à l'accent métissé. Ses envies de grands soirs l'emmènent occasionnellement à la table de Jean-Claude, ou celle, succulente, du Balthus, dans le quartier frigo du centre-ville.

Mais ce qu'elle préfère, la gourmande, c'est les dîners au Casablanca. Sa carte concoctée par son copain Johnny Farah, Harry Potter des serres : sa salade organique multicolore qui donne envie de devenir herbivore, ses rouleaux d'été à ramper de bonheur, ses calamars grillés qui croquent sous la dent, son poisson au soja, son sashimi, ses gyozas. Les cravates bizarres et Fayez et Carlos qui accueillent, comme à la maison. Et surtout le balcon, qui tient encore par miracle. Ce balcon, c'est son coin favori. On a d'ailleurs l'impression que les gens y passent plus de temps qu'à leur table. Un accélérateur de rencontres, autour d'une cigarette qu'on fume en zyeutant l'intérieur du restaurant à travers les jolis vitraux.

« C'est Câline qui joue au Lux ce soir ! » Elle longe la corniche et ses effluves de narguilé. Elle grimpe à l'arrière d'une mobylette qui se redresse comme un cheval de cirque sous les néons tremblants du Ring. Allons au Lux, donc. Le trottoir est noir de monde. À l'intérieur, pareil. Il flotte l'impression de retrouver le Tout-Beyrouth, comme dans une réunion d'anciens élèves. On y croise des tronches connues, les mêmes. Ceux dont on parle tout le temps, ceux qu'on qualifie de hype. Un monde d'effusions, avec ses « Ahhh ! Tiens, qu'est-ce que tu fais là ! », « Génial, tu es là aussi », ses embrassades, ses histoires de vacances ou ses projets de voyage. Indifférente à cette version remixée de Vous les femmes, elle flashe sur les Air Max à pois de Câline. Mais pas de quoi tenir plus longtemps. Elle débarque au Behind The Green Door à l'arrière d'un Uber Taxi. Elle passe la porte, le successeur du fameux Bob lui sourit, fait la bise à son copain Olivier Gasnier Duparc et boit sa flûte de champagne ou son passion fruit Martini, installée au bar. Ensuite, un petit tour sur le pole dance, et quelques pas de hip-hop sur la moquette léopard.
Elle fait un saut au Skybar, ce rêve pour poupées peroxydées en Hervé Léger et princes du Golfe fuyant les tempêtes de sable. Il fait bon mais elle s'ennuie. Elle troque ses Manolo contre des Stan Smith, pour la suite du programme. L'anthologique B018. Insouciante, frivole, elle dansera frénétiquement, un verre (de trop) à la main sur les remixes d'Armin Van Buuren chargés de faire zouker une armée de corps à peine conscients. Ce sacré Armin qui a l'air de passer la majeure partie de son année au Liban. 5 heures du matin, en nage, elle quitte les lieux.

Elle, c'est la nuit libanaise. Tour à tour bourgeoise délurée, mauvaise fille ou bimbo coincée, elle n'est pas une, mais plusieurs. À travers des bribes d'interviews, des portraits de fêtards se mettant en scène pour leur quart d'heure, des comptes-rendus de soirées où rêve et cauchemar cohabitent systématiquement, cette rubrique vous emmènera toutes les semaines sur les traces de la plus schizophrène des nightlifes du monde. La plus lunatique et la plus cathartique, surtout. Car la nuit libanaise nettoie : que la journée soit bonne ou mauvaise, elle lessive tout.

 

Lire aussi
Nightlife : innover pour résister

Badaro la convoitée saura-t-elle garder son cachet ?

Le mal-être de la jeunesse libanaise : une émancipation manquée

Elle commence par colorier le ciel bleu de noir. Elle s'installe ensuite sur l'enseigne du bâtiment d'Électricité du Liban qui, rendant l'âme, n'illumine plus grand-chose. Ou peut-être si : la rue d'Arménie. Elle fait un stop par les bars de cette rue et de toutes les ramifications qui font Mar Mikhaël. Se glisse dans les shakers du Vyvyans, autour des 33 tours de Radio Beirut, sur la...

commentaires (1)

Tres beau voyage nocturne...

Michele Aoun

13 h 14, le 08 novembre 2014

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Tres beau voyage nocturne...

    Michele Aoun

    13 h 14, le 08 novembre 2014

Retour en haut