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Économie - Liban

Badaro la convoitée saura-t-elle garder son cachet ?

Ils fleurissent à vue d'œil, les bars, cafés et restaurants à Badaro, faisant le bonheur des Beyrouthins las des traditionnels quartiers trop bruyants et à la recherche d'un lieu plus authentique pour passer leurs soirées. Et pourtant, déjà des voix s'élèvent, inquiètes de voir l'identité et le calme du quartier chamboulés.

Chez Roy’s Public House, l’un des premiers cafés-bistrots qui a ouvert à Badaro, le service est assuré à partir de 7h du matin. Photo Marisol Rifaï

Il est 9 heures du matin à Beyrouth et le soleil tape déjà très fort en ce mois d'août. À Badaro, quartier principalement résidentiel de la capitale, on aperçoit, sur un trottoir ombragé, un vieil homme qui lit son journal un café à la main, deux jeunes filles attablées derrière leur ordinateur et une femme dévorant une omelette. Ils sont bientôt rejoints par un groupe de touristes français qui commandent des limonades fraîches. Nous sommes chez Roy's Public House, un café-bar-bistrot qui a ouvert en mars 2013 et dont le propriétaire, Roy Fares, a été l'un des premiers à flairer le potentiel du quartier et à s'y implanter. Ce trentenaire, habitué de la nightlife libanaise et ayant géré pendant des années des pubs dans les différents quartiers de la capitale, a eu l'envie de créer « quelque chose de différent, un espace calme, sans fioritures, où tout le monde puisse se sentir chez soi, quelle que soit l'heure de la journée ». Roy's Public House ouvre de 7 heures du matin à minuit et propose des boissons chaudes et des petits déjeuners le matin, des sandwichs et plats du jour à midi, des boissons alcoolisées le soir et bien sûr, une connexion WiFi gratuite.


« Pour créer cet espace, comme je l'imaginais, il me fallait m'éloigner des quartiers branchés de Beyrouth, saturés et n'ayant plus aucune identité propre », raconte Roy Fares. Son choix s'est ainsi rapidement porté sur Badaro, « dont le calme, les petits commerces et l'authenticité m'ont tout de suite enchanté ». Un an et demi après l'ouverture, le propriétaire se dit très satisfait de son choix. « Le pari était risqué car, il y a deux ans, personne ne se déplaçait à Badaro pour prendre un verre le soir, mais aujourd'hui le pub ne désemplit pas. » Mieux encore, son succès a attiré depuis un an des dizaines de nouveaux investisseurs, qui ont rapidement flairé un important potentiel à développer dans le quartier.

 

Le boom n'est pas le fruit du hasard
Pour Georges Brax, président du Comité des commerçants de Badaro (CCB), le succès du quartier n'a rien de hasardeux, « il est dû au plan que nous avons mis en place à partir de 2010 pour redynamiser à Badaro, dont l'état des infrastructures était catastrophique ». La première étape a donc consisté à restructurer toutes les infrastructures (canalisation d'eau, des égouts, électricité...), puis, la deuxième, à remettre sur pied les trottoirs, à améliorer l'éclairage des rues, les goudronner et à planter des arbres. La troisième étape a été dédiée au renforcement de la sécurité, et, enfin, la dernière étape, à la communication, grâce aux médias et aux contacts renforcés avec les syndicats de restaurateurs et le ministère du Tourisme.


« Le tout premier à se lancer dans l'aventure, en juin 2011, a été le café-bistrot Kudeta, et nous comptons aujourd'hui 23 cafés, bars, pubs ou restaurants », souligne M. Brax. Ce développement rapide a logiquement fait grimper les prix du terrain, dont le m² a atteint 8 000 dollars. « En 2011, la location d'un local de taille moyenne était d'environ 250 dollars par mois, il a atteint aujourd'hui 2 000 dollars », indique-t-il. « Et il n'y a pas que le secteur de la restauration qui se développe, d'importants investissements ont été réalisés dans les projets immobiliers, l'hôtellerie et les commerces », ajoute-t-il. Selon M. Brax, le chiffre d'affaires des commerçants de Badaro spécialisés dans l'habillement a augmenté de 25 % en deux ans, « comparé à celui de l'ensemble du secteur partout ailleurs qui connaît une récession ».
Pour le président du CCB, cet engouement général pour le quartier est également bénéfique aux habitants, « qui ont vu le prix de leurs propriétés augmenter ». Mais tous les résidents de Badaro ne sont pas si optimistes et craignent que leur quartier ne se transforme en un « nouveau Gemmayzé ou Mar Mikhaël », où la musique, l'alcool et la fête règnent en maîtres jusqu'au petit matin.

 

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S'adapter au quartier, une condition pour s'implanter
Cette éventualité, M. Brax l'écarte immédiatement. « Nous avons appris des leçons du cas de Gemmayzé, et il en va de l'intérêt et de la survie de Badaro de ne pas répéter les mêmes erreurs », assure-t-il. Pour lui, il est primordial de garder une communication continue avec les habitants du quartier. « On essaie de leur expliquer qu'ils ne peuvent pas avoir les mêmes exigences qu'un habitant d'une petite maison isolée dans la montagne. Ils habitent dans la capitale et l'activité nocturne fait partie du paysage urbain », affirme M. Brax. Mais le président de l'Association des commerçants de Badaro tient également à souligner que les pubs doivent respecter des règles assez strictes, « pour préserver autant que possible la quiétude du voisinage et l'harmonie du quartier ». « Si un conflit opposait un pub à un résident, je me placerai automatiquement du côté du résident car Badaro est avant tout un quartier résidentiel. »


Un autre sujet qui attise les craintes des habitants, mais aussi celles de propriétaires de petits cafés ou bars qui ne veulent pas ressembler à ceux des autres quartiers de la capitale : le spectre des valets parking, bruyants, parfois violents et qui s'emparent de toutes les places de parking sur les voies publiques. Après des mois de spéculations, la réponse est sans appel : Badaro n'y échappera pas. Mais pour M. Brax, cette décision ne devrait pas inquiéter, « car les valets parking à Badaro ne ressembleront pas à tous les autres ». « Depuis des mois, nous travaillons sur un projet de valet parking unifié, commun à tous les bars et restaurants du quartier », indique-t-il. « Les réceptionneurs des voitures sont tous des habitants du quartier, ils sont en train d'être formés à travailler dans le calme et à assurer une plus grande sécurité. Ils nous serviront de rempart contre tout problème ou incident », poursuit-il.


Parmi les autres formes d'adaptation au quartier que les nouveaux arrivants doivent respecter, les horaires et la carte proposée. « Badaro a sa propre âme et il est hors de question d'y voir s'implanter des boîtes de nuit, des cafés à arguilés ou de grands restaurants, qui n'auraient pas leur place ici et qui chamboulerait l'identité du lieu », affirme M. Brax. « Lina's, célèbre sandwicherie qui va ouvrir en octobre une branche à Badaro, a ainsi dû s'adapter et proposer un plat du jour, condition sine qua non pour répondre à la demande du quartier en journée », explique-t-il.
Cette adaptation, le bistrot-pub Kerb, récemment ouvert à Badaro, l'a également adoptée. Omar Barmaki, copropriétaire du lieu et ingénieur de profession raconte qu'il y a quelques mois, il a eu envie, avec des cousins, de créer un petit business familial et Badaro correspondait parfaitement à leurs attentes. « En nous implantant à Badaro, nous savions que nous faisions le choix du calme et d'une identité particulière », raconte-t-il. Son pub ouvre donc le matin à 8 heures comme la majorité des autres du quartier et propose également des plats du jour à midi. Il compte recouvrer son investissement d'ici à un an, « même si, confie-t-il, les prix de location ont augmenté de manière pharaonique et qu'on paye notre local beaucoup plus cher que ceux qui sont arrivés quelques mois avant nous ».


Des prix qui augmentent donc et des pubs qui se multiplient à vue d'œil, mais tout semble pour l'instant contrôlé et plutôt en harmonie avec l'esprit du quartier. « Ce qui se passe ici est encore "un secret" de la nightlife beyrouthine et Badaro n'est pas encore devenu un ''quartier à caractère festif'' », souligne, souriant, Roy Fares. « Les nouveaux venus ici ne sont ni pollués ni polluants, et j'espère que ça restera comme ça », conclu le propriétaire de Roy's Public House.

 

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Il est 9 heures du matin à Beyrouth et le soleil tape déjà très fort en ce mois d'août. À Badaro, quartier principalement résidentiel de la capitale, on aperçoit, sur un trottoir ombragé, un vieil homme qui lit son journal un café à la main, deux jeunes filles attablées derrière leur ordinateur et une femme dévorant une omelette. Ils sont bientôt rejoints par un groupe de touristes...

commentaires (1)

Dans des rues si étroites ou il n’y a pas de place pour se garer que ce soit à Gemmayze , Badaro ou autres les valets parking sont en train de prendre la place des habitants des quartiers pour garer le matin les voitures pour les clients des banques et le soir pour les restaurants .

Sabbagha Antoine

07 h 34, le 19 août 2014

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Commentaires (1)

  • Dans des rues si étroites ou il n’y a pas de place pour se garer que ce soit à Gemmayze , Badaro ou autres les valets parking sont en train de prendre la place des habitants des quartiers pour garer le matin les voitures pour les clients des banques et le soir pour les restaurants .

    Sabbagha Antoine

    07 h 34, le 19 août 2014

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