Rechercher
Rechercher

Sport - Marathon de Beyrouth - Portrait

Aregu Abate, l'employée éthiopienne qui transcende les courses et les préjugés

C'est à Beyrouth qu'Aregu Abate, venue il y a trois ans de son Éthiopie natale pour travailler comme aide-ménagère, a découvert ses talents de coureuse. Première femme des semi-marathons de Baalbeck et Jounieh, elle n'est pas près de s'arrêter.

C’est à Beyrouth qu’Aregu Abate, venue il y a trois ans de son Éthiopie natale pour travailler comme aide ménagère, a découvert ses talents de coureuse. Depuis, elle est devenue une concurrente à craindre et n’est pas près de s’arrêter en si bon chemin. Sur cette photo, elle est en compagnie de son entraîneur Roger Bejjani.

Lorsqu'on lui demande quelle est sa course préférée, c'est du bout des lèvres qu'Aregu Sisay Abate répond « dix kilomètres », avant de se fendre d'un sourire immense. Sietske Noshie, la journaliste néerlandaise – résidant à Beyrouth depuis 20 ans – qui l'a engagée il y a trois ans pour devenir son employée de maison à Hamra, en connaît la raison : « Tu réponds cela parce que le 10 km, tu le gagnes tout le temps ! »
Semi-marathons de Baalbeck et Jounieh, dix kilomètres du Liban... Depuis qu'elle a commencé à s'entraîner avec le club Inter-Lebanon Road Running, il y a deux ans à peine, la jeune Éthiopienne enchaîne les victoires. L'objectif de cette coureuse de 23 ans, pourtant, n'est pas de gagner mais de s'améliorer : « Je cours parce que cela me permet de me sentir bien. Je ne veux pas être première, ou deuxième. Je ne regarde pas les classements, seulement ma montre, qui me permet de jauger à quel moment je peux accélérer. »
Si elle se moque des classements, nombreux sont déjà ceux qui guettent les temps d'Aregu Abate. Au mois de mai, son 41 min 06 sec lui a permis d'être la femme la plus rapide du Liban lors de la course de 10km « Rkedi la eddam ». Au cours de ces deux dernières années, elle a décroché une vingtaine de médailles et amassé de nombreux cadeaux, qu'elle ne sait pas encore comment elle va ramener en Éthiopie. Aux côtés de son coach Roger Bejjani, Aregu Abate s'améliore comme elle court : telle une flèche.

 

C'était pour travailler, pas courir !
Contrairement à d'autres Éthiopiens, qui sont sponsorisés pour participer à des compétitions à l'étranger, Aregu Abate rappelle qu'elle n'avait jamais couru avant d'arriver au Liban. « Dans mon village, à Wollo, je faisais bien du sport deux fois par semaine avec l'école, mais ce n'était pas toujours de la course. Je n'aimais pas les autres sports, je n'ai jamais couru plus de 100 mètres consécutifs. » Dans sa région natale des montagnes du nord de l'Éthiopie, elle grandit en voyant de nombreuses jeunes femmes quitter le pays pour devenir domestiques. « J'ai fait la même chose à ma majorité. Je suis partie pour gagner de l'argent. Le Liban, c'était pour y travailler et pas pour courir. »
Aregu Abate a donc fait ses valises et pris son premier avion, en direction de la capitale libanaise où elle est ainsi arrivée il y a trois ans. Depuis, la jeune Éthiopienne timide et qui avait peur des escalators a su gagner la confiance de sa famille hôte. « Elle est encore très discrète et nous parlons peu. Mais nous l'adorons, elle est toujours souriante même lors de dures journées. Aregu fait un peu partie de la famille maintenant », commente son employeuse néerlandaise, Sietske Noshie. Leurs rires complices ne font que confirmer.

 

Rapide comme le vent...
Sietske Noshie, de la même manière, a su gagner la confiance de son employée. « En novembre 2012, nous nous apprêtions à participer aux 10 km de Beyrouth en famille, raconte-t-elle. Aregu m'a demandé si elle pouvait participer. Je n'ai pas été sûre de comprendre car elle ne parlait jamais, et ne connaissait que quelques mots d'arabe. » Ces quelques mots ont suffit : « Oui. Je veux courir », répète Aregu Abate. Elle marche d'abord aux côtés des enfants Noshie, puis demande la permission de s'échapper. L'athlète en herbe fuse jusqu'à l'arrivée, devançant tous les membres de la famille. « Elle courait comme le vent, nous avons été éblouis. Mon mari m'a dit qu'il fallait l'inscrire dans un club de course. C'était une évidence : Aregu a quelque chose de plus », se souvient Mme Noshie.
Toutefois, la jeune coureuse, première étonnée lorsqu'elle reçoit des prix, hésite à rejoindre Inter-Lebanon Road Running : « J'avais un peu peur de la réaction des autres, qu'allaient-ils penser d'une domestique qui court ? » Mais le plaisir est plus fort, elle décide vite d'accepter. « Je me sens tellement bien lorsque je cours ! Je ne pense plus à rien. Je cours et c'est tout », dit-elle. C'est déjà énorme.
Pour Sietske Noshie, elle représente une référence, un exemple d'émancipation pour de nombreuses autres migrantes privées du droit de sortir de chez elles. Un exemple mal compris par les habitants de sa région natale : « Lorsque je suis retournée à Wollo, les villageois ne comprenaient pas que ma famille me laisse m'entraîner. Une domestique reste à la maison... » « Il doit bien exister des familles comme la nôtre », réagit Sietske Noshie, confiante : « Aregu est fantastique, mais nous savons bien qu'elle ne restera pas chez nous pour toujours. Son travail de domestique est temporaire, il ne peut pas constituer un futur. »

 

Tirunesh Dibaba, son exemple
Pour Aregu Abate, le futur est une chose lointaine. Elle sourit car tout ce qui lui importe, c'est aujourd'hui, où elle court et est heureuse. Depuis deux ans maintenant, elle a beaucoup progressé auprès de son coach Roger Bejjani, qui la talonne à bicyclette lors de ses entraînements sur la corniche. « Tout ce que je veux, c'est m'améliorer, répète-t-elle lorsque Mme Noshie évoque la difficulté de certains entraînements. Si c'est dur, c'est pour mon bien. » Lorsque la coureuse éthiopienne, impulsive et déterminée, abandonne les pelotons de course pour en prendre la tête, bien trop tôt selon entraîneur, il est difficile de retrouver la jeune femme réservée des interviews, qui aborde les difficultés avec un sourire calme.
La petite silhouette d'Aregu Abate, qui traverse les distances comme l'éclair, rappelle celle d'une autre coureuse. À l'évocation de Tirunesh Dibaba, championne olympique de course de fond et qu'elle suit sur sa page Facebook, ses yeux s'illuminent. « Roger pense que je peux courir comme elle », avoue-t-elle d'une petite voix, tandis que ses projets semblent prendre de court son employeuse. « Ce sont mes rêves... », reprend Aregu Abate, qui aurait pu s'aligner au départ du 10 km le mois prochain, mais a décidé, sur les conseils de son entraîneur, de tenter son premier marathon. « Je n'ai pas choisi la facilité. Je sais que je ne peux pas gagner. Mon objectif sur cette course est juste de ne pas partir trop vite, pour terminer les 42,195 km », conclut-elle.
Une course de plus avec elle-même, qu'elle a de grandes chances de gagner !

 

Lire aussi

Elga Trad : À ce jour, j’ai réalisé tous mes objectifs

 

Pour mémoire

Une « guirlande de paix et d'amour », un dimanche de novembre ...

Les championnes libanaises : pourquoi ces absences ?

Lorsqu'on lui demande quelle est sa course préférée, c'est du bout des lèvres qu'Aregu Sisay Abate répond « dix kilomètres », avant de se fendre d'un sourire immense. Sietske Noshie, la journaliste néerlandaise – résidant à Beyrouth depuis 20 ans – qui l'a engagée il y a trois ans pour devenir son employée de maison à Hamra, en connaît la raison : « Tu réponds cela parce...

commentaires (2)

Quel plaisir cet article....peut etre enfin on va regarder ces jeunes filles comme des personnes et non comme une machine a laver...j'ai oublie...la MADAME est une journaliste Neerlandaise...Merci olj...

Houri Ziad

09 h 10, le 04 novembre 2014

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • Quel plaisir cet article....peut etre enfin on va regarder ces jeunes filles comme des personnes et non comme une machine a laver...j'ai oublie...la MADAME est une journaliste Neerlandaise...Merci olj...

    Houri Ziad

    09 h 10, le 04 novembre 2014

  • bravo Aregu, bravo Sietske & famille, bravo Roger !!! merci aussi

    maha el hajj

    07 h 01, le 04 novembre 2014

Retour en haut