Il a passé 11 années de sa vie trois étages sous terre, dans la prison humide et insalubre du ministère de la Défense. Ces longues années de détention, les cris des détenus qu'on torturait, les humiliations, les pressions, il n'en a presque jamais parlé ou si peu. Il a accepté de se livrer à Nada Anid, qui vient de publier chez Calmann-Lévy une biographie de celui qu'elle baptise « L'homme de cèdre », en référence à sa capacité de résistance, en référence aussi à Bécharré, son village natal. Samir Geagea, chef des Forces libanaises, y est raconté, décortiqué, montré depuis sa cellule étroite par l'auteure à travers « ses trois vies », « sa jeunesse, le combattant et seigneur de guerre, et l'homme politique ». Le livre, publié également en arabe aux éditions Naufal-Hachette Antoine, commence le jour de son arrestation, le 21 avril 1994, et prend fin avec sa candidature à la présidence. Il est ponctué de retours sur les périodes-clés de sa vie, sur les personnes qui l'ont accompagné et marqué.
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Un travail de deux ans
L'histoire se veut « romanesque », car « Samir Geagea est parti de rien, ne faisant pas partie de l'establishment politique », raconte la biographe à L'Orient-Le Jour. Séduite par « la personnalité aux multiples facettes de cet homme emprisonné pour ses convictions, parce qu'il n'a pas composé, mais résisté à la mainmise syrienne », Nada Anid se lance sans hésiter dans ce projet qui lui tient à cœur, mue par le désir « d'en savoir plus sur cette période sombre, marquée par un désintérêt des enfants de la guerre pour la chose politique ». « C'était pour moi le personnage qui incarnait parfaitement cette période », observe-t-elle. Munie de l'accord de son éditeur, elle est allée le rencontrer, par le biais d'un contact. Au début hésitant, M. Geagea s'est finalement lâché. « Il a parfaitement joué le jeu et n'a jamais demandé à relire le texte », assure-t-elle. Cette biographie, qui a vu le jour au terme de deux ans de travail et d'écriture, n'est pas pour autant « autorisée », dans le vrai sens du terme, relève-t-elle toutefois.
La femme n'est pas journaliste. Elle est graphiste et cofondatrice d'une ONG féministe, Women in front. Mais l'écriture et plus particulièrement la biographie passionnent cette épouse et mère de deux jeunes gens. Au point de travailler tard le soir à son livre, chez elle, quand la maisonnée « bouge un peu moins ». Nada Anid n'en est d'ailleurs pas à son premier travail. Elle a obtenu le Prix France-Liban en 2012, pour sa biographie d'Antoine Naufal, sous le titre « Les très riches heures d'Antoine Naufal ». Un succès qui n'est pas étranger à la « confiance aveugle » que lui a accordée le chef des FL. « Peut-être aussi a-t-il senti que j'ai entamé ma procédure sans le moindre préjugé », note-t-elle.
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Le sentiment d'être le seul à payer
« Près de 22 heures d'entretiens avec Samir Geagea ont été nécessaires, ponctuées de profondes recherches personnelles, raconte Mme Anid. Il n'hésitait pas à m'aider dans mes recherches, lorsque je le lui demandais. » L'auteure ne s'est pas contentée de ces interviews. Elle est également allée à la rencontre de proches du chef des FL, notamment « son épouse, Sethrida avec laquelle il entretient des rapports fusionnels », mais aussi de personnes qui ne partagent pas ses convictions politiques. « J'ai essayé d'être aussi objective que possible, assure-t-elle. Mais il est indéniable que ce livre raconte la guerre, du point de vue de Samir Geagea. »
L'écrivaine est convaincue que « la résistance chrétienne a toujours souffert d'une mauvaise image ». « La communication palestinienne et syrienne a toujours été plus forte », assure-t-elle à ce propos. Et d'ajouter : « Samir Geagea avait le sentiment d'être le seul à payer et à rendre des comptes. Mais aujourd'hui, l'homme n'a plus de haine, assure Mme Anid, il s'exprime avec détachement et sérénité, même si ce qu'il a vécu est révoltant. » Il raconte alors sa version des faits, « l'attentat de l'église Notre-Dame de la Délivrance, monté de toutes pièces, de sorte que l'opinion publique l'accuse », mais aussi le samedi noir, le massacre de Sabra et Chatila, la tuerie d'Ehden... « Il n'y était pas, affirme-t-elle, et pourtant ces accusations le poursuivent encore. »
Prise par l'intérêt de la découverte de cette période, la biographe préfère ne pas répondre aux polémiques qui ont enflammé les réseaux sociaux à la parution du livre, fin octobre. « Je parle d'une période qui a existé, souligne-t-elle. En racontant la vie de Samir Geagea, je n'ai pas porté d'accusations contre qui que ce soit. Mais il me fallait rétablir certaines vérités. » Parmi ces vérités, « le pardon » qu'a demandé le chef des Forces libanaises, ce moment très important de sa vie, « qui, regrette-t-elle, n'a pas eu le retentissement suffisant, ni même l'effet de contagion escompté ».
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Nada Anid signera son ouvrage au Salon du livre au stand de la Librairie Antoine, à l'issue de la table ronde à laquelle elle participera ce soir, à 19 heures, aux côtés de Joseph Chami et de Zeina Tabet sur le thème « L'écriture des biographies, entre vérité et fiction ».
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commentaires (7)
Bravo et merci encore à Samîr le Hakîm....
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
17 h 11, le 05 novembre 2014