Si nul n'est censé ignorer la loi, encore faut-il donner au citoyen les outils nécessaires pour en connaître les rouages, la comprendre et l'utiliser à bon escient. De cette réflexion est née, en 2012, l'idée d'un dispensaire* juridique parrainé par la faculté de droit de l'Université Saint-Joseph. L'initiative s'inscrit dans le cadre d'un projet citoyen global intitulé « Opération 7e jour » (OJ), inauguré au lendemain de la guerre de 2006.
Si, à l'époque, l'objectif de l'opération était de secourir les victimes de cette tragédie, aujourd'hui la cible est devenue plus globale et plusieurs facultés ont été mises à contribution pour participer à tout un chantier d'engagement social couplé à une action citoyenne efficace.
Inspiré des « Legal Aid Clinics » américaines, le dispensaire juridique donne des conseils juridiques gratuits à tous ceux qui en ont besoin. À ceux en particulier qui n'ont pas les moyens de s'adresser à un professionnel, ceux également que la justice intimide, paraissant lointaine, incompréhensible ou hors d'atteinte, ou encore ceux qui ont perdu la foi dans la règle de droit.
L'idée est de soutenir et d'accompagner toute personne confrontée à un litige, et aspirant à demander justice et à récupérer ses droits. Le dispensaire vise en outre à disséminer toute une culture du droit avec laquelle les Libanais ne sont pas familiers, soit par manque de connaissance, soit tout simplement par dépit, la loi de la jungle s'étant peu à peu substituée à la règle du droit.
« Pour que la citoyenneté soit effective, elle doit être accompagnée de la garantie des droits de la personne. Pour que cette garantie soit effective, la loi doit être accessible à tous et intelligible. »
C'est par ces termes que les responsables du projet présentent ce haut lieu de rencontre entre le droit, la science et l'engagement citoyen exprimé par le bénévolat.
Animé par des étudiants en droit en 3e et 4e année, soutenus par des anciens de la faculté, des professionnels et des enseignants, le dispensaire vise des objectifs multiples : offrir un service citoyen tout en propageant une culture juridique.
« Il s'agit de mettre le droit à la portée de tous et de traduire la pensée de Portalis, l'un des plus éminents juristes français qui écrivait que les "lois sont faites pour les hommes et non les hommes pour les lois" », rappelle Karim Torbey, avocat et professeur de droit chargé du projet.
Concrètement, le dispensaire accueille toute personne en quête d'un conseil juridique en amont des poursuites judiciaires ou du procès pour l'aider à prendre une décision en connaissance de cause. En offrant un service public gratuit, « les étudiants qui effectuent les recherches et participent au face-à-face avec l'intéressé contribuent indirectement à parfaire leur formation universitaire en traitant de cas concrets et réels, les préparant à la vie professionnelle », explique Anthony Féghali, ancien étudiant chargé de la cellule OJ.
Les universitaires sont encadrés tout le long du processus par les enseignants et les anciens de l'université qui prodiguent conseil.
Ingénieur et professeur d'université, Joe a eu recours au dispensaire à deux reprises. Confronté à deux litiges suite à des opérations d'investissement, il s'est rendu au dispensaire juridique sans hésiter pour soumettre son cas : la première fois, lors de l'achat d'un bien-fonds qu'il n'a jamais finalisé, le vendeur n'ayant pas pu poursuivre le projet de construction faute d'argent ; la seconde fois, dans le cadre d'une acquisition d'actions dans une société étrangère qui s'est abstenue de payer à l'intéressé les dividendes.
Bref, deux dossiers ardus dans lesquels l'investisseur avait besoin de conseils concrets, avant d'entreprendre une quelconque action en justice.
« Personnellement, j'ai trouvé l'initiative du dispensaire d'autant plus intéressante qu'elle a un but non commercial. En tant que demandeur d'un conseil juridique, je me sens rassuré de savoir que l'action est bénévole », témoigne l'ingénieur. Joe explique sa préférence pour ce dispensaire à cause de ses craintes de tomber sur un mauvais avocat, ou un « avocat pressé et stressé qui va me coûter très cher sans me donner de résultats concrets ».
À ce premier avantage s'ajoute le fait que « les universitaires sont très sérieux et travaillent avec rigueur car ils sont motivés par la réussite et non par l'argent », dit-il. C'est sans aucun doute, une « win-win situation » qui profite au citoyen, mais aussi à l'étudiant qui s'investit dans une action socialement bénéfique tout en se préparant à la vie professionnelle.
« En tant que professeur, je suis parfaitement conscient de l'importance de l'immersion des étudiants dans la vie réelle », témoigne Joe.
Mais l'ambition du dispensaire ne s'arrête pas là. L'équipe d'étudiants et de juristes impliqués planche, depuis plusieurs semaines, sur un projet colossal : la rédaction de « guides juridiques » qui visent à informer le citoyen de ses droits fondamentaux dans une situation particulière. Il s'agit également de le familiariser avec les démarches administratives en amont et en aval qu'il doit effectuer dans divers domaines.
En somme, lui faciliter la vie dès lors qu'il sera appelé à traiter avec la justice ou l'administration libanaise, réputée pour sa lourdeur et sa complexité.
Autant d'actions citoyennes cumulées à court mais aussi à long terme visant à réconcilier le gouverné avec l'idée de l'accès au droit. Un passage obligé pour l'adhérence au concept de l'État de droit. Enfin, c'est un « engagement historique » que le dispensaire prend à son compte en cherchant à perpétuer la maxime « Beyrouth nourricière des lois ».
*Adresse : Université Saint-Joseph, Faculté de droit et des sciences politiques, Campus des sciences sociales, Bâtiment A, 5ème étage
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Article très intéressant. Avant de donner des conseils ou d'établir des guides, il serait utile de publier les règles de droit dans un premier temps. Il faut convier par ailleurs l'Etat à développer un site sur lequel tout citoyen libanais pourrait retrouver l'intégralité des règles de droit régissant son pays (avec une classification et une organisation que l'on pourrait confier à des professionnels du droit et non à des agents publics)
14 h 07, le 22 septembre 2014