Rechercher
Rechercher

Économie

Les marchés voient la vie en rose

L'économie mondiale a connu une année pour le moins inhabituelle, marquée par une série de changements imprévus sur le plan économique, géopolitique, ainsi que sur les marchés – et il est peu probable que le dernier trimestre fasse figure d'exception. La manière dont s'opéreront en fin de compte ces changements est vouée à impacter considérablement l'efficacité des politiques des États – entre autres nombreux aspects. Ainsi, comment expliquer que les marchés financiers se comportent comme s'ils évoluaient dans un monde à part ?
Apparemment imperturbables face à la croissance décevante des pays développés comme des économies émergentes, et malgré la montée des tensions géopolitiques en Europe et de l'Est et au Moyen-Orient, les marchés de capitaux ont enregistré record sur record au cours de l'année. Cette impressionnante reprise semble avoir ignoré tout un ensemble de notions corrélatives historiques, parmi lesquelles la relation bien connue entre la performance des actions et celles des obligations gouvernementales. En réalité, les corrélations régissant jusqu'alors différentes catégories d'actifs financiers se sont comportées de manière atypique, et parfois instable.
Pendant ce temps, sur le front des politiques, la cohésion des pays développés en matière de politique monétaire cède peu à peu la place à un système multidimensionnel, dans lequel la Banque centrale européenne enfonce davantage la pédale d'accélération de la relance, tandis que la Réserve fédérale américaine s'attache à lever le pied. Ces démarches orientent l'économie mondiale du quatrième trimestre vers une direction profondément incertaine, à bien des égards.
Au cours des prochains mois, l'inquiétude devrait s'axer principalement sur l'escalade de plusieurs conflits géopolitiques, qui se rapprochent peu à peu d'un point culminant au-delà duquel menace le spectre de sérieuses perturbations systémiques pour l'économie mondiale. Cela vaut particulièrement pour l'Ukraine, qui en dépit du cessez-le-feu actuel nécessite que la Russie et l'Occident s'entendent sur un mécanisme d'apaisement définitif des tensions. À défaut d'avancées, de nouvelles sanctions et contre-sanctions inévitables pourraient bien plonger la Russie et l'Europe dans la récession, affectant ainsi l'activité économique globale.
Même en l'absence de telles complications, la dynamisation d'une reprise économique européenne de plus en plus laborieuse ne sera pas chose facile. Afin d'amorcer un progrès, le président de la BCE Mario Draghi a proposé un deal politique aux gouvernements européens : ceux des États qui appliqueront des réformes structurelles et amélioreront leur flexibilité budgétaire verront la Banque centrale étendre leur bilan, dans une démarche de dynamisation de la croissance et de lutte contre la déflation. Si les États membres n'honorent pas leur part du deal, la BCE aura du mal à promouvoir efficacement ses politiques – s'exposant aux critiques et pressions politiques.
De l'autre côté de l'Atlantique, la Fed devrait pour de bon s'affranchir de sa politique d'assouplissement quantitatif (QE) – démarche d'achat d'actifs à grande échelle – au cours des prochaines semaines, et ne pourra alors plus compter que sur les taux d'intérêt et les orientations de politiques pour booster l'économie. Au-delà de l'opposition qu'elle suscite chez certains responsables et acteurs politiques, la fin du QE soulève plusieurs inquiétudes quant à un risque d'aggravation de l'instabilité financière, ainsi que de creusement des inégalités – deux évolutions susceptibles de mettre à mal une reprise économique américaine déjà fébrile.
Comme si la situation n'était pas suffisamment compliquée, les élections au Congrès américain du mois de novembre approchent à grands pas. Étant fort probable que les républicains conservent le contrôle d'au moins l'une des Chambres du Congrès, la marge de manœuvre politique du président démocrate Barack Obama devrait s'en trouver sévèrement restreinte – à moins bien sûr que la Maison-Blanche et le Congrès ne trouvent finalement le moyen de travailler ensemble.
Dans le même temps, au Japon, la patience du secteur privé à l'égard de la stratégie en trois flèches du Premier ministre Shinzo Abe, destinée à redynamiser une économie longtemps stagnante – les fameux « Abenomics » – devrait être mise à l'épreuve, notamment concernant la mise en œuvre tant attendue de réformes structurelles venant compléter la relance budgétaire et l'assouplissement monétaire. Si cette troisième flèche des Abenomics échoue à atteindre sa cible, l'aversion des investisseurs face au risque s'en trouvera accentuée, laquelle compromettra les efforts de stimulation de la croissance et de lutte contre la déflation.
Plusieurs économies émergentes, importantes sur le plan systémique, font également l'objet d'une incertitude considérable. Les élections présidentielles brésiliennes du mois d'octobre seront déterminantes quant à savoir si le pays évoluera en direction d'un modèle de croissance nouveau et plus viable, ou s'il s'enlisera encore plus profondément dans une stratégie économique à bout de force, dont on sait qu'elle accentue ses tendances stagflationnistes.
En Inde, la question est de savoir si le Premier ministre nouvellement élu Narendra Modi agira ou non de manière décisive pour répondre aux attentes considérables des électeurs en faveur d'une réforme économique, avant que ne s'estompe l'ivresse de sa victoire. La Chine sera quant à elle contrainte d'atténuer les différents risques financiers si elle entend éviter un atterrissage brutal.
La dernière source d'incertitude se situe du côté des entreprises. Depuis le début de l'année, les entreprises les mieux portantes commencent lentement à réutiliser leurs deniers – une évolution notable en comparaison aux comportements d'aversion au risque ayant prévalu depuis l'explosion de la crise financière mondiale.
De plus en plus de sociétés ont en effet commencé à déployer les stocks de trésorerie considérables qu'elles détenaient sur leurs bilans, dans un premier temps pour augmenter les dividendes et racheter des actions, puis afin de procéder à des fusions et acquisitions à un rythme observé pour la dernière fois en 2007. Reste à savoir si les entreprises investiront enfin davantage de liquidités dans de nouveaux projets d'installations, d'équipements, et d'effectifs – pilier indispensable à l'économie mondiale.
Il s'agit ainsi d'une liste d'interrogations relativement chargée. Les acteurs des marchés financiers semblent pourtant avoir passé à la trappe toutes ces incertitudes, faisant fi des risques considérables soulevés aujourd'hui, et ignorant l'instabilité financière susceptible d'en découler. Les investisseurs financiers ont en effet préféré s'en remettre au soutien inébranlable des Banques centrales, persuadés que les autorités monétaires parviendront tôt ou tard à transformer une croissance induite par les politiques en croissance véritable. Bien entendu, ces investisseurs ont également tiré considérablement parti du déploiement de la trésorerie des entreprises.
Au cours des prochains mois, il n'est pas impossible que la réalité donne raison à cet optimisme fervent dont font aujourd'hui preuve les marchés financiers. Malheureusement, il est fort probable que ces investisseurs se soient montrés excessivement insouciants.

Traduit de l'anglais par Martin Morel
© Project Syndicate, 2014.

L'économie mondiale a connu une année pour le moins inhabituelle, marquée par une série de changements imprévus sur le plan économique, géopolitique, ainsi que sur les marchés – et il est peu probable que le dernier trimestre fasse figure d'exception. La manière dont s'opéreront en fin de compte ces changements est vouée à impacter considérablement l'efficacité des politiques des...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut