C'est la grande interrogation aujourd'hui : l'État islamique et ses hordes ont-ils réussi à sauver la peau de Bachar el-Assad, à remettre en selle son régime, à le blanchir des crimes commis pour la simple raison qu'ils l'ont dépassé en férocité et en barbarie. Une monstruosité chassant l'autre, les décapitations et autres crucifixions faisant oublier les tueries aux barils d'explosifs et aux produits chimiques, on se retrouverait ainsi entraîné dans une procédure infâme aboutissant à la prescription tant souhaitée.
Ni vu ni connu, le tyran redeviendrait blanche colombe et offrirait ses services sur un plateau d'argent à des démocraties occidentales revenues à de meilleurs sentiments. Tel est le scénario-caricature fantasmé à Damas alors qu'Américains et Européens sonnent déjà la charge contre les terroristes de Daech et que la rébellion modérée, divisée, maintes fois flouée, assujettie à des promesses qui ne se concrétisent jamais, tente de se reconstituer, tablant presque uniquement sur le facteur temps.
Avant d'aller plus loin dans l'analyse, et en réponse à tous ceux au Liban qui ont la mémoire courte et qui appellent déjà à la normalisation avec le potentat de Damas, voilà en quelques phrases, difficilement supportables, le rappel de réalités imprescriptibles à travers le témoignage de la journaliste Garance Le Caisne tel qu'il a paru dans une récente édition du Nouvel Observateur. À Alep, rapporte-t-elle, le régime largue des bidons d'explosifs et de ferraille sur les civils. Les écoles, les hôpitaux, les maisons, rien n'est épargné. « Les barils largués par les hélicoptères ne tuent pas que les civils. Ils tuent la mort elle-même. Ce matin-là c'est Karm al-Miyassar qui est visé. Des blessés, une vingtaine de morts. Sur le trottoir, une bassine en fer contient deux pieds et une jambe. Derrière, une couverture recouvre les restes d'une femme... Les explosifs broient les dépouilles et les mélangent. »
Et le témoignage de poursuivre sa description de l'horreur : « Les barils vous coupent en deux, en trois, verticalement, horizontalement, explique Abou Mohammad Dine, neurologue et membre du conseil médical de la ville d'Alep. Cela nous terrifie, nous médecins, alors les habitants... Avec les armes chimiques, au moins, vous mourez entier. Là, ces restes de corps... comment les reconnaître. »
Et pour finir le rappel de la menace proférée au début de la rébellion en 2011 par un officier syrien des services de renseignements à l'adresse d'une personne proche des révolutionnaires : « Nous vous transformerons en engrais pour la terre ! »
Menace largement exécutée : 200 000 tués déjà et les engins de mort continuent de s'abattre sur la population civile démembrant des familles entières, jetant sur les routes de l'exode les derniers survivants de l'apocalypse syrienne.
Est-il seulement envisageable, face à cette barbarie chaque jour renouvelée, que le régime de Bachar el-Assad puisse espérer une prochaine réhabilitation auprès des pays occidentaux ? Est-il seulement imaginable que les horreurs commises par « l'État islamique » puissent faire oublier celles perpétrées par l'armée syrienne et ses alliés, crimes équivalant à un véritable génocide ?
Les États-Unis et la France ont clairement précisé que le président syrien a perdu toute légitimité et que l'opposition modérée constitue un contrepoids aussi bien à Bachar el-Assad qu'à l'État islamique. En d'autres termes, la destruction du « califat » d'Abou Bakr al-Baghdadi ne saurait justifier la survie d'un pouvoir considéré comme usurpateur. Ces déclarations d'intention n'équivalent évidemment pas à des garanties et l'opposition syrienne modérée peut témoigner des « lâchages » successifs dont elle a été victime par le passé.
Il n'en reste pas moins que l'ampleur même de la barbarie perpétrée par le régime rend improbable, à terme, une compromission occidentale qui viendrait couronner, dans la honte, l'éradication de l'État islamique. Celle-ci devrait mener, tôt ou tard, à la chute d'un régime voué internationalement aux gémonies et qui est devenu un poids pour ses derniers alliés, un « produit » négociable que la Russie et l'Iran le reconnaissent ou pas.
La guerre contre les terroristes de Daech ne fait que commencer et beaucoup de larmes et de sang seront encore versés. Mais ne l'oublions pas : au départ était Bachar, à l'arrivée il ne devrait y avoir que le sinistre souvenir d'un potentat déchu... Cela s'appelle justice immanente !
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ET À L'ARRIVÉE : DAECH SUR DES CHARS !
LA LIBRE EXPRESSION
11 h 07, le 17 septembre 2014