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Un monde de solutions (II) - Billion Bricks

Des briques et des idées pour loger les sans-abri

À 37 ans, Prasoon Kumar est un architecte chevronné. Depuis dix ans, il a construit plus de 10000 maisons dans diverses régions du monde, de l'Inde à Hong Kong, en passant par les Philippines et les États-Unis. Cette réussite professionnelle n'a pourtant pas suffi à dissiper la désagréable impression qu'il n'avait pas fait grand-chose pour résoudre le problème des sans-abri, de plus en plus flagrant dans beaucoup de villes. «Chacune de ces maisons a été achetée par quelqu'un qui avait déjà un toit», explique cet homme d'origine indienne, père de deux garçons, qui vit maintenant à Singapour. «Mes projets devenaient de plus en plus coûteux et luxueux, et il y avait toujours plus d'argent, mais le nombre de gens qui vivaient dans des bidonvilles et dans la rue ne diminuait pas.»


Puis, en 2009, M. Kumar a posé la première brique de son projet fétiche.
Lors d'une conférence sur le logement social à Manille (Philippines), il avait appris que Mumbai était un modèle de réhabilitation des bidonvilles: les promoteurs qui achetaient des terrains occupés par des bidonvilles se chargeaient de reloger gratuitement leurs occupants dans des
appartements.
Cette solution lui avait paru toutefois incomplète. «Les normes de construction négligeaient souvent la qualité», déplore-t-il, soulignant que dans bien des cas, l'éclairage et la ventilation laissaient à désirer. Mais il avait surtout le sentiment que le simple fait de construire des maisons pour reloger les habitants des bidonvilles n'était pas une solution durable.
«Les bidonvilles de Mumbai comptent près de 10 millions d'habitants. Si nous voulions les réhabiliter en logements conventionnels, il faudrait des ressources colossales, non seulement pour construire les maisons, mais aussi pour les entretenir, et pour installer l'eau et l'électricité», ajoute-t-il.


Fort de ses connaissances en architecture, urbanisme et aménagement de l'environnement, il recherche alors une approche plus globale et plus durable: il ne suffit pas d'offrir un toit aux sans-abri; il faut aussi leur donner les moyens d'améliorer leur situation socio-économique.
Ce constat aboutit à la création de Billion Bricks (un milliard de briques), une association à but non lucratif basée à Singapour qui se donne pour objectif de résoudre le problème mondial des sans-abri en logeant les gens qui vivent dans la rue et en leur fournissant dans la mesure du possible des outils tels que l'éducation, la formation professionnelle et des perspectives d'emploi.

 

Soutien massif

Le projet de M. Kumar a recueilli un soutien massif. En juillet 2013, le jury d'un concours pour entrepreneurs sociaux lui a accordé une subvention de 5000 dollars (3900 euros), puis deux membres fondateurs de l'association Billion Bricks lui ont apporté une aide financière supplémentaire. L'un d'entre eux, Anurag Srivastava, 47 ans, n'est autre que l'ancien patron de l'agence d'architecture Space Matrix dans laquelle travaillait M. Kumar.
«Ce sont les petits coups de pouce que ces gens peuvent obtenir qui font toute la différence, explique-t-il. Lorsque je regarde les émissions de découverte de talents en Inde, je ne vois aucun jeune issu de familles riches. Il y a chez les sans-abri des talents et un potentiel qui ne demandent qu'à être réalisés. Leur fournir un toit, c'est aussi leur fournir un tremplin.»


L'autre bailleur de fonds, Mme Snehal Mantri, est directrice du marketing et des ressources humaines de la société immobilière Mantri Developers, basée à Bangalore. Séduite par l'approche de Billion Bricks, elle a décidé d'investir dans le projet. «L'idée m'a tout de suite plu. Elle répondait à un besoin. On ne fait pas assez de choses pour aider les sans-abri», dit-elle.

 

De gauche à droite : Snehal Mantri, directrice du marketing et des ressources humaines; Anurag Srivastava, fondateur et administrateur; et Prasoon Kumar, fondateur et directeur général de Billion Bricks.


Un mois après ce concours, M. Kumar démissionne du poste qu'il occupait depuis douze ans pour créer Billion Bricks et prend contact avec différentes ONG pour leur proposer de mettre à leur service les compétences de son équipe en architecture et en urbanisme.
En novembre dernier, Billions Bricks a lancé son premier projet : un abri prévoyant d'accueillir une centaine d'enfants des rues de Mumbai. Avec l'association indienne Salaam Baalak Trust, il transforme un bâtiment abandonné offert par la corporation municipale du Grand Mumbai en foyer pour enfants. Lorsqu'il sera achevé, il logera les enfants et leur proposera également des activités et des ateliers de jour.
«Nous ciblons les gens qui n'ont même pas les moyens de vivre dans des bidonvilles. Ce sont les vrais sans-abri», souligne M. Kumar qui est maintenant directeur général de Billion Bricks.
Avec une petite équipe de pas plus de dix employés et bénévoles, il aide à lever des fonds pour les projets, et met à profit son expérience professionnelle pour dessiner des plans et veiller à la sécurité et à la qualité des constructions.


En mai, son équipe s'est associée à deux ONG, Solutions to End Poverty (Step) et Pour un sourire d'enfant, pour construire un village destiné à environ cent soixante familles de sans-abri à Phnom Penh (Cambodge). Conçu comme un campus, ce complexe préparera des adultes à des emplois qualifiés et scolarisera leurs enfants. Huit familles se sont déjà installées sur le site de 2,2 hectares, et quatre-vingt-dix autres maisons seront terminées d'ici au mois d'août prochain.
Parmi les autres projets en cours, il y a un orphelinat au Kerala (Inde) et une école pour les enfants de travailleurs migrants à Sabah (Malaisie).


Le prochain objectif de M. Kumar et de son équipe est de trouver des moyens de réaliser leurs projets à plus grande échelle et de les reproduire ailleurs.
Ils étudient actuellement un système de cartographie qui permettrait de localiser les communautés de sans-abri, souvent invisibles et mobiles, afin de savoir où implanter leur prochain projet et d'identifier les populations qui en auraient le plus besoin. Après un premier essai sur l'un des huit quartiers de Bangalore, l'équipe espère parvenir à transférer cet exercice de cartographie à d'autres villes et en faire l'une de ses armes dans la lutte contre l'exclusion sociale.
«Nous avons besoin de ces informations et de ces données pour savoir par où commencer et identifier les problèmes à résoudre», souligne M. Kumar.
Son équipe envisage également de recourir au financement participatif, pour trouver des fonds, bien entendu, mais aussi de l'expertise et des terrains.


L'association a également émis une idée audacieuse: exploiter des espaces sous-utilisés tels les immeubles de bureaux, les écoles, et même les jardins et les cours de maisons privées pour y loger des sans-abri. «Lorsque l'on travaille dans le secteur du bâtiment et de l'immobilier, on se rend compte qu'il y a énormément d'espaces qui ne sont pas utilisés la nuit», rappelle M. Srivastavar. Ce principe serait à son sens comparable à celui du vélo-partage aux Pays-Bas ou de la chaîne AirBnB, qui permet à des particuliers de loger des touristes chez eux pour une somme modique. Il admet cependant que la mise en place d'un système similaire pour les sans-abri dépendra essentiellement de la volonté des gens de partager leur maison.


«J'ai eu l'idée d'appeler l'association Billion Bricks, et non Million Bricks, lorsque j'ai compris qu'un million de briques ne suffiraient jamais à combler les besoins. Ce sont des milliards de briques qu'il nous faut … et des millions de mètres carrés», souligne M. Kumar.
Et dans sa quête de briques et de mètres carrés, l'architecte n'en est qu'au tout début du chemin. «Personne n'a la solution parfaite au problème des sans-abri. Nous non plus, reconnaît-il, mais c'est l'objectif vers lequel nous tendons.»

 

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À 37 ans, Prasoon Kumar est un architecte chevronné. Depuis dix ans, il a construit plus de 10000 maisons dans diverses régions du monde, de l'Inde à Hong Kong, en passant par les Philippines et les États-Unis. Cette réussite professionnelle n'a pourtant pas suffi à dissiper la désagréable impression qu'il n'avait pas fait grand-chose pour résoudre le problème des sans-abri, de plus en...

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