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Liban - Liban

L’eau douce en mer : providentielle pour les uns, incertaine pour les autres

Alors que la crise de l'eau s'éternise, certains trouvent dans l'exploitation des sources sous-marines d'eau douce une solution. Le ministre de l'Énergie, qui a demandé une étude scientifique au CNRS, préfère attendre des recherches plus poussées.

De l’eau douce qui jaillit d’une source dans le sous-sol marin. Photo Mohammad Sariji

De l'eau douce en mer ? Exploitable de surcroît ? Pour la plupart des profanes, cette éventualité tiendrait de la science-fiction. Or ces sources existent bel et bien en plusieurs points de la côte libanaise. Les possibilités de leur exploitation, elles, sont une autre paire de manche.
Par expérience, Mohammad Sariji, président du syndicat des plongeurs professionnels, dit avoir constaté la présence de ces sources en grand nombre le long de la côte. « Certaines sont saisonnières, d'autres sont actives toute l'année, dit-il. À Tyr, vous pouvez facilement remarquer les bulles en surface. Certaines de ces sources déchargent d'énormes quantités d'eau qui n'ont jamais fait l'objet d'études. »


La topographie du Liban favorise, de toute évidence, l'émergence de ce phénomène. « Notre pays est privilégié par la proximité de la montagne à la mer, ce qui aide à la fabrication de ces sources, indique Alexandre Sursock, directeur du centre de géophysique du Conseil national de la recherche scientifique (CNRS), auquel le gouvernement vient de demander une étude sur le sujet. Sur terre, l'eau pénètre dans le sol en raison de la nature calcaire de celui-ci. Cette nature du sol conduit à la création de réseaux souterrains qui permettent à l'eau de ruisseler et d'arriver jusqu'à la mer. »
Selon l'expert, ces sources aujourd'hui sous-marines se trouvaient un jour à l'air libre, avant d'être recouvertes par la mer, probablement depuis la dernière ère glaciaire. « Elles auraient pu disparaître, poursuit-il. Mais une montagne de trois mille mètres d'altitude aussi proche de la côte constitue une telle pression que ces sources continuent de jaillir avec une très grande force sous la mer, arrivant en surface avant d'avoir été mélangée à l'eau de mer » (puisqu'elles ont une densité différente).
Toutefois, rappelle-t-il, ces sources proviennent de l'environnement terrestre, elles sont donc affectées par tout ce qui affecte l'eau sur terre. « Il faut donc considérer qu'elles s'affaiblissent en certaines conditions, comme durant l'été par exemple, dit-il. Ce système hydraulique obéit au principe des vases communicants. Il faut qu'il y ait une pression assez forte pour que cette eau douce puisse vaincre le poids de vingt mètres d'eau salée et aboutir en surface. »
Pour Alexandre Sursock, toute future exploitation de telles sources nécessite une parfaite connaissance du système dans son intégralité, ce qui reste à acquérir.

 

(Pour mémoire : Protéger la source de Jeïta, c'est protéger plus de 70 % de l'eau de Beyrouth)

 

Un engouement sans précédent
L'enthousiasme pour l'exploitation des sources d'eau douce en mer est monté d'un cran cette année, avec la sécheresse qui sévit en raison des pluies insuffisantes l'hiver. Cette option est l'une de celles évoquées dans l'étude « Blue Gold » sur la gestion hydraulique, effectuée par le « Civic Influence Hub », un groupe de pression civil. Face aux difficultés rencontrées dans l'approvisionnement des Libanais en eau cet été, le CIH a proposé au gouvernement, à travers ses participations aux réunions de la commission ministérielle chargée d'examiner ce problème, présidée par le vice-Premier ministre Samir Mokbel, une étude sur l'exploitation d'une des plus grandes sources sur le littoral libanais, celle se trouvant au large de Chekka. Le CIH dit s'être basé sur une étude faite par la compagnie française « Beterson Water International » sur les sources de Chekka, et soutient qu'un approvisionnement à même cette source pourrait assurer des dizaines de milliers de mètres cubes d'eau supplémentaires par jour.


Dans sa proposition, le CIH suggère de confier à l'armée le soin d'effectuer le recensement de ces sources dans cette région, et de mettre ses équipements à disposition en vue d'extraire et de transporter l'eau (en la faisant parvenir dans des sacs en plastique à des pompes placées en surface). Des plongeurs seraient chargés d'installer, sur la bouche de la source, une base en béton pour le dispositif qui permettrait d'isoler cette eau douce et de l'acheminer jusqu'en surface.


Une autre voix s'est fait entendre pour défendre cette option, celle de Mohammad Sariji. « On peut utiliser cette eau, insiste-t-il. Preuve en est, l'une des sources les plus importantes sur la côte libanaise se trouve à Abou Halka, Tripoli. Comme cette source est située à 70 mètres de la côte, la ville a décidé de remblayer la mer jusqu'à y parvenir, et l'exploite sans problème depuis 18 ans. » Le plongeur assure que les sources les plus importantes qu'il ait lui-même observées se trouvent au large de Tyr. « Il y en a des dizaines, mais trois restent actives toute l'année, dit-il. Il sera, à mon avis, très facile d'en profiter car des milliers de tonnes d'eau remontent ainsi à la surface. Il s'agit juste d'installer l'infrastructure qui permettrait de les acheminer vers les bateaux et de les transporter. Il faudrait aussi prévoir des réservoirs sur la côte. »
Selon lui, les sources de Tyr, qui se trouvent à cinq kilomètres de la côte environ, ont l'avantage de ne pas être polluées. « Le jet est si puissant que l'eau peut être extraite par la simple gravité, je parie », ajoute-t-il.

 

Débit irrégulier et qualité changeante ?
Cet engouement est tempéré par l'attitude des autorités, qui assurent préférer attendre des études plus approfondies avant de se lancer dans pareille entreprise. Des études qui dureraient des mois.
Interrogé sur le sujet, le ministre de l'Énergie Arthur Nazarian rappelle qu'il a lui-même demandé au Premier ministre de mandater le CNRS afin que celui-ci effectue une étude à ce sujet. « Nous disposerons ainsi de plus amples informations pour l'avenir, au cas où nous voudrions nous diriger dans cette voie, dit-il. Mais il n'y a rien d'imminent. Les études actuelles, notamment celle qui nous a été présentée par le CIH, sont insuffisantes, tout comme l'expérience mondiale en la matière, d'ailleurs. C'est ce que j'ai pu constater lors de mes recherches. »
Selon le ministre, « il faut collecter les informations nécessaires sur les sources elles-mêmes, ainsi que sur le coût de l'extraction de cette eau en mer ». « Si ce coût s'avère trop élevé, nous pourrions décider que cette option n'est pas intéressante pour nous, poursuit-il. Dans tous les cas, l'exploitation de ces sources en mer n'est pas pour demain. »


Au ministre, Ziad Sayegh, directeur exécutif du CIH, répond que « le projet, selon nous, peut être lancé dès cette année car il est prêt des points de vue scientifique, technique, logistique et financier, puisque la Banque du Liban est prête à le financer ». Il pense que le sujet sera soulevé à la première occasion en Conseil des ministres. « S'il est approuvé par le Conseil des ministres, l'armée pourra le mettre en place avec le concours du secteur privé et de toutes les institutions concernées dans le secteur public, poursuit-il. Le dialogue est ouvert, par ailleurs, avec tous les acteurs concernés. »
Également interrogé par L'Orient-Le Jour, Mohammad Kabbani, président de la commission parlementaire de l'Énergie, des Travaux publics et des Transports, dit « préférer que des études plus approfondies soient effectuées avant que le gouvernement ne se lance dans l'exploitation des sources d'eau douce sous-marines ».

 

(Pour mémoire: Les dix commandements pour faire face à la pénurie d'eau de l'été...)

 

Étude du CNRS en préparation, mais de nombreuses questions en suspens
Pour sa part, Mouïn Hamzé, secrétaire général du CNRS, nous indique qu'une étude préliminaire est entreprise par son institution, à bord du bateau scientifique Cana, pour la localisation des sources au large de Chekka et de Tyr. « Nous allons essayer d'estimer le débit lors du pic de sécheresse, et d'examiner la qualité de l'eau, dit-il. Nous soumettrons un rapport préliminaire au ministère de l'Énergie. Sur base de ce rapport préliminaire, il sera décidé d'entreprendre, ou non, une étude étalée sur dix-huit mois. Cette étude préliminaire ne prendra pas plus de quelques semaines. »
Mais selon Mouïn Hamzé, il ne faut pas trop se bercer d'illusions. « Cette possibilité reste assez aléatoire, dit-il. Avant de discuter des moyens de pomper l'eau, il faut vérifier si son débit est bien régulier, et s'assurer que sa qualité n'est pas changeante. Quand on pompe l'eau d'une nappe phréatique, on est sûr de son débit régulier et de sa qualité presque stable. Ce n'est pas le cas pour ces sources sous-marines soumises à des pressions de tous les côtés. »


D'un point de vue scientifique, d'autres points d'interrogation subsistent. Alexandre Sursock fait référence à une étude effectuée par le professeur Michel Bakalowicz et un de ses étudiants, pour l'Université Saint-Joseph, sur la source de Chekka, réputée comme l'une des plus impressionnantes du monde. « Les chercheurs ont constaté qu'à certaines heures, le flux de la source s'inversait, faisant jaillir de l'eau salée au lieu de l'eau douce, dit-il. Le changement dans cette source principale affecterait instantanément les autres sources d'eau douce à proximité. Les chercheurs pensent que le pompage excessif sur la côte, dû aux activités industrielles, pourrait en être la cause. Voilà pourquoi tout cela nécessite des études plus poussées. »
Selon lui, ces sources font partie d'un système qu'il est crucial de mieux comprendre avant de prendre des décisions. « Les sources sous-marines sont le point le plus bas d'un ensemble qui trouve son point de départ dans les montagnes, dit-il. Cette eau aura cheminé longuement avant d'y arriver. Il s'agit de voir s'il est utile de dépenser tant d'énergie à pomper de l'eau sous la mer au lieu de la prélever ailleurs. » Il ajoute que des précautions doivent être prises, car l'entreprise ne serait pas sans risque. « Au cas où cette option est retenue à l'avenir, il faudra prévoir des législations très strictes pour éviter toute catastrophe par une exploitation non étudiée, dit-il. Preuve en est, l'intrusion de l'eau salée dans les sources d'eau douce qui est déjà constatée à Chekka en raison de la surexploitation sur la côte. Il faut veiller à ce qu'une exploitation des sources en mer ne fragilise pas, à son tour, le système des nappes phréatiques sur la côte. »


Quoi qu'il en soit, qu'il s'agisse d'exploitation de sources non conventionnelles ou plus traditionnelles, quelles seraient les garanties sans une politique de l'eau bien plus rigoureuse qu'elle ne l'est aujourd'hui ?

 

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De l'eau douce en mer ? Exploitable de surcroît ? Pour la plupart des profanes, cette éventualité tiendrait de la science-fiction. Or ces sources existent bel et bien en plusieurs points de la côte libanaise. Les possibilités de leur exploitation, elles, sont une autre paire de manche.Par expérience, Mohammad Sariji, président du syndicat des plongeurs professionnels, dit avoir constaté...

commentaires (5)

Ref:L'article de OLJ de Mme Suzanne Baaklini Notre societe Beterson Water International a fait des etudes d'exploitation des sources sous marine sur tout le littoral Libanais, Nous sommes arriver a une conclusion positive que la resurgence d'eau douce pourrait guarantire au moins de 800.000 metre cube par jour. Ceci pourrait fournir le deficit d'eau au Liban et pourrait exporter a Chypre les quantites de 300.000.000 de M3 que le Gouvernement Chypriote en a besoin pour les 6 mois de l'ete. Chypre achete le M3 a $8 le M3 . Eddy Arida

Eddy Arida

14 h 47, le 29 mars 2019

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Commentaires (5)

  • Ref:L'article de OLJ de Mme Suzanne Baaklini Notre societe Beterson Water International a fait des etudes d'exploitation des sources sous marine sur tout le littoral Libanais, Nous sommes arriver a une conclusion positive que la resurgence d'eau douce pourrait guarantire au moins de 800.000 metre cube par jour. Ceci pourrait fournir le deficit d'eau au Liban et pourrait exporter a Chypre les quantites de 300.000.000 de M3 que le Gouvernement Chypriote en a besoin pour les 6 mois de l'ete. Chypre achete le M3 a $8 le M3 . Eddy Arida

    Eddy Arida

    14 h 47, le 29 mars 2019

  • ELLE SERA INCESSAMMENT INCERTAINE POUR TOUT LE MONDE !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    09 h 49, le 10 septembre 2014

  • IL Y EN A UNE QUE JE CONNAIS À CHEKKA, TRÈS PROCHE DU RIVAGE, ET ELLE A UN GRAND DÉBIT. JE CONNAIS OU CONNAISSAIS AUSSI DEUX AUTRES PROCHES DU RIVAGE DE EL MINA DE TRIPOLI, MAIS ÉTANT DONNÉ QU'ILS ONT BEAUCOUP GAGNÉ SUR LA MER JE NE SAIS PLUS SI ELLES EXISTENT. UNE AUTRE SOURCE DANS LA MER SE TROUVE PRÈS DU RIVAGE IMMÉDIATEMENT UN PEU PLUS LOIN DE L'ANCIENNE STATION DES CHEMINS DE FER DE EL MINA. J'AVAIS BU, DURANT LA NAGE, DE L'EAU DOUCE DE TOUTES CES SOURCES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    15 h 20, le 09 septembre 2014

  • Tyr depuis l'Histoire est connue pour ses sept bassins et leur eau douce unique , mais l'enthousiasme des responsables manque toujours .

    Sabbagha Antoine

    12 h 50, le 09 septembre 2014

  • Faudrait peut être capter l'eau douce avant quelle arrive en mer...! imaginons que les sources de Jeïta , ne soit pas captées ...! ca voudrait dire ...? d'aller les capter à 800 m de profondeur au large de Nar El Kalb...?

    M.V.

    11 h 30, le 09 septembre 2014

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