Des colonnes de blindés, lance-roquettes et systèmes de défense antiaérienne passaient hier sur le Maïdan, place centrale de Kiev qui célébrait son 23e anniversaire de l'Indépendance au milieu d'un conflit sanglant avec les séparatistes prorusses dans l'Est.
« C'est une parade les larmes aux yeux », confie Natalia Roslova, une trentenaire portant une chemise brodée traditionnelle ukrainienne comme ses deux enfants venus pour la première fois assister au défilé militaire. En pleine guerre dans l'Est qui a coûté la vie à plus de 2 200 personnes dont 722 soldats, l'Ukraine a décidé de renouer avec le grand défilé sur la place de l'Indépendance avec des armes lourdes, ce qui n'avait pas eu lieu depuis 2009. « Cette parade n'est pas faite pour en mettre plein la vue, mais pour rendre hommage à nos gars qui font la guerre et périssent dans l'Est. Il faut leur remonter le moral. Nous pensons à eux, nous prions pour eux », raconte Natalia.
Des milliers d'Ukrainiens, la plupart portant des chemises brodées ou arborant les couleurs nationales, bleu et jaune, avec drapeaux, fanions ou boucles d'oreilles ont acclamé le passage d'une unité qui vient de revenir de la zone des combats. Une minute de silence a été observée pour rendre hommage aux quelque 100 manifestants tués dans les rues lors d'une contestation ayant conduit en février à la chute du régime prorusse de Viktor Ianoukovitch.
« Notre choix, c'est la paix »
Avant de se rendre à Odessa pour y assister à une parade de la marine, le président Petro Porochenko a promis hier de débloquer 2,2 milliards d'euros dans les années à venir pour moderniser l'armée ukrainienne jugeant que ses prédécesseurs avaient sous-estimé la menace russe, assurant que ce ne serait qu'« un début modeste » de la renaissance de l'armée. « La guerre n'est pas notre initiative, elle nous a été imposée de l'extérieur. Notre choix, c'est la paix », a-t-il assuré. « Qui veut la paix doit se préparer à la guerre », a-t-il toutefois assuré.
« Je suis fier pour mon pays », a déclaré le général Valéri Soubotine qui vient de revenir de l'Est et qui a été à la tête de la colonne des gardes-frontières. « C'est un grand soutien aux soldats qui sont là-bas. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point c'est bien pour l'esprit de combat », assure-t-il.
Plusieurs dirigeants occidentaux, dont le président américain Barack Obama, ont félicité l'Ukraine à l'occasion de la fête nationale. Le pape François a adressé un message de paix, appelant à prier pour « les fils et filles (de l'Ukraine), leurs aspirations de paix et de sérénité, menacées par une situation de tension et de conflit qui ne tend pas à s'apaiser, générant tant de souffrances dans les populations civiles ». La chancelière allemande Angela Merkel, en visite à Kiev la veille, a pour sa part prôné hier une solution au conflit ukrainien qui « ne froisse pas » la Russie mais qu'il incombera au « peuple ukrainien » de déterminer.
« J'ai pleuré pendant cette parade en pensant à tous ces morts », confie de son côté Anna Antoniouk, 30 ans, employée dans un hôtel. « Nous avons besoin d'une fête pour nous rassurer mais peut-être pas dans ces circonstances », nuance-t-elle. Son époux, Oleg, dit qu'il est « patriote », mais que le moment n'est pas bon pour célébrer l'indépendance de l'Ukraine qui a perdu en mars la Crimée annexée par la Russie et fait face à une insurrection armée dans l'Est. Depuis son indépendance en 1991, « l'Ukraine a toujours été dirigée de l'extérieur. Cela commence à changer, mais nous ne sommes pas entièrement indépendants », estime cet ouvrier en bâtiment.
Des « sous-hommes »
Et le « patriote » n'a peut-être pas entièrement tort. À plusieurs kilomètres de Kiev, Donetsk, bastion des rebelles prorusses, célébrait la fête nationale... à sa manière. Entre 40 et 50 soldats ukrainiens capturés au cours des combats ont défilé sur la place Lénine dans le centre-ville sous les huées de plusieurs centaines de personnes qui s'y sont rassemblées aux cris de « fascistes, fascistes ! » « Vous tuez nos enfants ! » lançait la foule aux hommes qui marchaient la tête baissée et les mains derrière le dos. Un homme réclame aux combattants rebelles à l'air martial qui encadraient les malheureux la mise à mort de ces « sous-hommes », pendant que bouteilles d'eau et ordures valsaient en direction des prisonniers.
Après un quart d'heure de calvaire, ils sont conduits vers deux autobus, pour une destination inconnue. Berger allemand en laisse, surgit une combattante rebelle, cheveux ras, lunettes noires, pendant qu'une vieille dame bénit les geôliers sous les vivats : « Bravo les gars ! » « Nouvelle Russie (Novorossiya) ! » scande la foule. « Ça a été un plaisir de voir ces salauds », s'exclame une sexagénaire, collier de perles autour du cou, heureuse d'avoir pu assister au défilé de ces « créatures », « si malheureux, si pâles ».
Ce défilé est largement inspiré de la « parade des vaincus » organisée le 17 juillet 1944 dans le centre de Moscou lorsque le pouvoir soviétique avait fait défiler plus de 50 000 prisonniers de guerre allemands devant les habitants. « C'est le 70e anniversaire de la parade de Staline. Je suis sûr que bientôt il y en aura une comme ça à Kiev », se félicite d'ailleurs un vieil homme, Vladislav, qui refuse aussi de donner son nom.
La directrice adjointe de l'ONG Human Rights Watch Rachel Denber a décrit sur Twitter l'événement comme « humiliant et dégradant » et contraire aux conventions de Genève, selon lesquelles les prisonniers de guerre doivent être protégés « contre tout acte de violence ou d'intimidation, contre les insultes et la curiosité publique ».
Le « Premier ministre » de la République populaire autoproclamée de Donetsk (DNR), Alexandre Zakhartchenko, ne voit « rien de contraire à la législation internationale ». « On ne les a pas déshabillés, on ne leur a pas enlevé leurs chaussures, on ne les a pas privés de nourriture », a-t-il dit au cours d'une conférence de presse.
Ce pied de nez à Kiev en ce jour de fête nationale, Viktor Seredezov, moustachu chétif et dépenaillé qui se dit soldat et exhibe sa carte du Parti communiste, l'attendait depuis le matin : le président « Porochenko fait un défilé de la victoire, nous on fait une variante stalinienne ».
(Source : AFP)