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Liban - Éclairage

Daech fait monter les enchères : libération des détenus islamistes et protection des réfugiés

Le commandant en chef de l’armée a inspecté hier les troupes à Laboué et Ersal.

L'annonce hier par le cheikh Adnane Amama des conditions fixées par l'État islamique (EI, ex-Daech) pour la libération de 7 soldats libanais n'a pas créé la surprise. On le savait déjà, et ce dès le départ : les jihadistes n'échangeraient leur « butin de guerre » que contre un autre butin tout aussi précieux : les prisonniers islamistes, confirme le dignitaire sunnite, l'un des ulémas impliqués dans la médiation.
Certes, les noms et le nombre des prisonniers réclamés n'ont pas été clairement définis par l'EI, qui a laissé entendre qu'il le fera dès qu'il obtiendra la réaction du gouvernement, mais il n'en a pas moins annoncé la couleur. On le devine déjà, c'est Imad Hassan Jomaa qu'il voudrait voir libéré en premier, et semble-t-il, certains éléments de Fateh el-Islam, dont une partie a déjà été jugée. D'autres aussi pourraient figurer sur la liste.
Une source proche de la commission des ulémas se montre catégorique : « Dès le début de la médiation, l'EI voulait récupérer Jomaa et cette demande n'a été remise en question à aucun moment », dit-il.
Toutefois, les éléments armés semblent vouloir bien plus qu'un détenu aujourd'hui, si l'on en croit les allusions faites par le cheikh Amama, qui a souligné hier que « si les médiations avant le retrait de Daech et d'al-Nosra étaient dans un sens, aujourd'hui elles vont dans un autre sens ».


Il reste bien entendu l'hypothèse selon laquelle la formation jihadiste ambitionnait la libération de tout ce beau monde islamiste qui croupit à Roumieh bien avant l'arrestation de Jomaa, comme l'avaient assuré les services de renseignements il y a quelque temps. La capture de Imad Jomaa – en visite au Liban pour la préparation et l'exécution d'un projet comprenant notamment la libération des détenus de Roumieh – a précipité les choses.
À cette première requête formulée par l'EI, la réponse à peine voilée de l'État libanais n'a pas tardé à venir. En début de soirée, le commissaire du gouvernement près le tribunal militaire, le juge Sakr Sakr, a reçu le dossier de Imad Jomaa ainsi que 9 autres personnes arrêtées dans le cadre des événements de Ersal, en vue d'engager des poursuites contre eux. Une manière pour l'État de tracer dès le départ une ligne rouge infranchissable. La demande de libération des détenus devait être également l'une des raisons qui a poussé le président de l'association « Life » et l'un des premiers médiateurs dans l'affaire des otages, Nabil Halabi, à renoncer à son rôle aux côtés des ulémas, ne pouvant accepter de négocier des conditions telles que la libération de prisonniers condamnés par l'État.


Pour étayer leur demande, les éléments de l'EI ont également remis au médiateur – le Syrien Abou Mohammad Rifaï – une vidéo dans laquelle on voit sept soldats, un peu amoindris, mais en bonne santé. Une indication à peine rassurante, puisqu'elle ne dit rien sur les autres soldats – on parle de 16 militaires au moins retenus, sur les 22 portés disparus depuis la fin des affrontements. Les responsables sécuritaires ne semblent pas pour autant rassurés : « Si la vidéo montre 7 soldats uniquement, cela veut-il dire que l'EI n'a que ceux-là entre les mains ? Qu'est-ce qu'on en sait ? Où sont les autres ? » Des craintes qui sont justifiées dès que l'on tente de faire le décompte des otages, en cherchant à comprendre qui est avec qui, et combien de mouvements détiennent ces otages.


La difficulté réside précisément dans le fait que plusieurs parties sont impliquées dans l'affaire. « Chacune a ses conditions et ses calculs propres », devait prévenir hier cheikh Adnane Amama.
Les sources de sécurité se disent en tous les cas « certaines » que les 17 membres des Forces de sécurité intérieure sont aux mains du Front al-Nosra, qui d'ailleurs n'a toujours pas fait parvenir ses revendications, laissant probablement l'EI tester préalablement le terrain.
On ne sait pas exactement non plus combien de militaires se trouvent entre les mains d'al-Nosra, d'où la confusion que crée ce dossier qui se révèle de plus en plus complexe et susceptible de s'enliser, à l'instar de l'affaire des otages chiites de Aazaz, ou celle des sœurs de Maaloula. Un parallèle qu'on ne peut s'empêcher d'établir surtout lorsqu'on apprend que le Premier ministre Tammam Salam a pris contact hier avec la Jordanie, le Qatar et la Turquie, des pays également sollicités dans le cadre des deux autres dossiers.


Mais les complications ne s'arrêtent pas là. Car outre les détenus de Roumieh, les preneurs d'otages ne cessent de réclamer en contrepartie que les réfugiés syriens soient traités de manière convenable et que les aides, provisions et soins médicaux leur soient assurés. Ils ont également requis que les blessés des suites des affrontements avec l'armée, dont plusieurs combattants des leurs, soient transférés dans « d'autres hôpitaux » – entendre les hôpitaux tenus par des islamistes à Ersal – « par peur qu'ils ne soient liquidés », dans une réaction de vengeance. Certaines voix associatives, dont celle de Nabil Halabi, ont rapporté le cas de détenus ligotés dans leur lit d'hôpital, d'autres soumis à des interrogatoires, soupçonnés d'avoir tiré sur la troupe et comploté contre elle aux côtés des islamistes.


Les yeux des formations jihadistes sont également rivés sur les camps des réfugiés syriens où vivent plus de 100 000 de leurs proches, dont plusieurs membres de leurs propres familles qui leur servaient de couverture et de lieu de passage avant que n'éclate l'affrontement avec l'armée.
Ce n'est plus un secret pour personne : plusieurs unités de l'Armée syrienne libre notamment venaient en effet se reposer quelques jours dans ces camps aux côtés de leurs familles, avant de reprendre le chemin du combat en Syrie, toujours avec leurs armes, en traversant le no man's land du jurd.
C'est la protection de ces camps que l'EI et al-Nosra réclament aujourd'hui, ce qui suppose là encore une forme de renonciation de l'État à une partie de sa souveraineté, l'armée étant pratiquement priée d'ignorer les camps situés dans la localité de Ersal, où le commandant en chef de l'armée s'est d'ailleurs rendu hier. Pour les forces de l'ordre, la situation est devenue proprement alambiquée, puisqu'il est désormais extrêmement difficile de dissocier le réfugié du terroriste, l'humanitaire du sécuritaire. La bataille de Ersal a malheureusement achevé de monter même les habitants du village contre leurs « convives » syriens, aujourd'hui devenus pesants, voire indésirables.


Bref, des difficultés monstres qui se posent aussi bien à l'armée – prise en tenaille – qu'à l'État, appelé à ménager la chèvre et le chou tout en préservant son prestige, ou du moins ce qu'il en reste.

 

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commentaires (5)

LES LOUPS RÉCLAMENT LA PROTECTION DES AGNEAUX ! POUR BIEN LES CROQUER APRÈS...

LA LIBRE EXPRESSION

18 h 05, le 14 août 2014

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Commentaires (5)

  • LES LOUPS RÉCLAMENT LA PROTECTION DES AGNEAUX ! POUR BIEN LES CROQUER APRÈS...

    LA LIBRE EXPRESSION

    18 h 05, le 14 août 2014

  • Comme d'habitude pour des raisons que tout le monde sait, la politique a déjà vendu l'armée libanaise. le même scenario se répète toujours.

    Bahijeh Akoury

    15 h 04, le 14 août 2014

  • ...ménager la chèvre et le chou...c'est justement la base de tous nos problèmes au Liban. Cela ne fait que retarder les solutions, l'adversaire interprétant cela comme de la faiblesse et en profite...profite, la preuve: les preneurs d'otages ont le culot de demander des aides, provisions et soins médicaux pour ces "réfugiés" qu'ils ont eux-mêmes provoqués avec leurs agissements et leur folie. Et pendant ce temps, nous Libanais, nous nous débattons dans des conditions de vie quotidiennes de plus en plus insuportables. ETAT LIBANAIS, ARMEE LIBANAISE, votre devoir est de nous protéger NOUS LIBANAIS, avant tout ! Et que tous les "autres" aillent au diable ! Irène Saïd

    Irene Said

    10 h 43, le 14 août 2014

  • Ces imbéciles nous ont indiqué leur point faible, si l'article dit vrai, et ce sont leurs proches. Ils sont donc chez nous. A la violence, la traîtrise et l'ingratitude il faut user des mêmes moyens. Que l’armée et la police bloquent les camps de réfugiés de la région, les transforment en prison bien ficelées et qu'elles négocient alors leur bien être ou relâchement contre nos soldats et flics. Pour tout bobo d'un des nôtres, il y aura bobo pour une bonne dizaine d'entre eux. Il faudra surement choisir les familles des responsables de l'EI et de Nosra d'abord bien sur! Plus de sentiments la dessus! Avec les criminels il faut agir avec la fermeté relative. Ils oublieront bien vite le Jomaa et autres hurluberlus dangereux qui, une fois nos hommes libérés, se doivent d’être pendus haut et court sur la place de Ersal a titre d’exemple pour les autres.

    Pierre Hadjigeorgiou

    10 h 01, le 14 août 2014

  • 1-En tout premier lieu, mille fois maudite la dictature exécrable dont viennent tous les problèmes du Liban depuis 1970 ! 2-Ah les barbus de ce pays qui multiplient par cent les problèmes et les malheurs dont il s'agit !

    Halim Abou Chacra

    06 h 13, le 14 août 2014

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