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Moyen Orient et Monde - Commentaire

En Europe, bat un cœur gaulois

Le 14 juillet, les soldats algériens ont défilé sur les Champs-Élysées pour la première fois depuis la guerre d’indépendance algérienne. Alain Jocard/AFP

L'Europe a besoin d'une France fière, prospère et capable de s'affranchir des craintes qui l'éprouvent. Il nous faut pouvoir compter sur ce grand pays qu'a été et que sera la France ‒ inspiratrice du monde entier à travers sa Révolution, sa culture et ses valeurs. « Sans l'Europe, la France ne sera plus rien », a un jour fait valoir l'intellectuel et homme politique Alain Peyrefitte, également confident du général de Gaulle. Il n'en demeure pas moins que sans la France, l'Europe elle-même serait vouée au néant.

En cette année de commémorations, il convient de réfléchir à l'avenir de la France. Le 14 juillet, journée nationale en France, à l'occasion du 225e anniversaire de la prise de la Bastille, les soldats algériens ont défilé sur les Champs-Élysées pour la première fois depuis la guerre d'indépendance algérienne, il y a un demi-siècle. Un véritable et émouvant symbole de la transcendance historique. Nous commémorons également le centenaire de l'explosion de la Première Guerre mondiale, ainsi que les 25 ans de la chute du mur de Berlin, qui aboutit rapidement à la réunification de l'Allemagne.

L'Europe a beaucoup changé depuis lors. Il y a vingt-cinq ans, la République fédérale d'Allemagne présentait une population similaire en nombre à celle de la France, autour de 60 millions d'habitants (soit l'Italie et la Grande-Bretagne d'aujourd'hui). La réunification allemande a permis au pays d'intégrer 16 millions de citoyens supplémentaires issus de l'ancienne Allemagne de l'Est, faisant clairement de cette république fédérale élargie l'État le plus peuplé de l'Union européenne.

Cette évolution a contrarié l'équilibre de cet axe franco-allemand autour duquel s'ancrait l'UE depuis de nombreuses années. Afin d'éviter un certain nombre de conséquences politiques négatives, l'Allemagne a consenti à une sous-représentation du poids de son vote autour des questions intéressant l'UE ‒ un déséquilibre des votes qui ne sera véritablement rectifié qu'à l'occasion du traité de Lisbonne, qui prit effet en 2009. Au fil du temps, dans le cadre d'un processus accentué par la crise économique récente, l'ampleur de sa puissance économique a permis à l'Allemagne de commencer à fixer le tempo des affaires européennes. L'Allemagne est aujourd'hui clairement devenue le point de référence de l'élaboration des politiques relatives aux problématiques les plus importantes de l'UE.

Pour autant, la logique de construction de l'Europe nécessite que la France s'inscrive en tant que complément de l'Allemagne – et qu'en fassent désormais de même d'autres pays majeurs de l'UE tels que l'Italie, l'Espagne, le Royaume-Uni ou encore la Pologne. En effet, l'Europe ne peut plus demeurer ce simple couple qu'elle était il y a 30 ans – si tant est qu'elle l'ait jamais été. La France demeure un modèle pour de nombreux États membres de l'UE. Ainsi, lorsque souffre la France, l'Europe souffre avec elle. La guérison de l'Europe et celle de la France constituent les composantes d'une même équation, qui fait intervenir les mêmes inconnues.

C'est précisément en raison de sa pertinence même, de son poids historique et de son bagage culturel que la France se montre systématiquement méfiante à l'égard des changements qui l'entourent ‒ comme si le fardeau de sa condition de nation l'empêchait de prendre son envol et restreignait ses horizons. Or, nul État ne saurait aujourd'hui demeurer à l'écart de la mondialisation, et encore moins espérer la dompter ou la conduire seul. Ainsi est-il nécessaire que le regard de la France se tourne à nouveau vers l'Europe, qui pour sa part a besoin à la fois de la France et de l'Allemagne si elle entend maintenir son équilibre et sa réussite.

La France demeure affectée par les conséquences de son vote du « non » en 2005 autour du projet de Constitution européenne – un épisode loin de compter parmi les heures les plus glorieuses du pays. Dix ans après le référendum, la France ne devrait pas avoir à craindre de concéder une part de sa souveraineté aux fins d'une union politique en Europe. Il s'agirait au contraire pour la France d'œuvrer au premier plan de cet effort, en faisant entendre sa voix et sa centralité en tant que pays géographiquement situé à la croisée du nord et du sud de l'Europe, ainsi qu'en s'inscrivant comme le modèle de nombreux autres États s'agissant des problématiques sociales.

De même que l'Allemagne a fait un pas en avant en abandonnant son Deutsche Mark en faveur de l'euro, il incombe à la France de se transcender au-delà du cadre classique de l'État-nation. La prépondérance économique allemande se traduisant peu à peu en puissance politique croissante, il apparaît de plus en plus nécessaire d'y apporter un complément au travers du point de vue unique de la France. Et cela d'autant plus que les avancées apparaissent aujourd'hui imparables en direction d'une intégration économique plus poussée, et vouée à aboutir, par volonté ou par chance, à une plus grande intégration politique. Les solides fondations économiques de la France lui confèrent les moyens de faire face à la nécessité de réformes urgentes. Le revenu par habitant y dépasse les 30 000 € (40 000 $) annuels, le pays bénéficiant par ailleurs d'un État providence significatif et d'une société instruite. La croissance du PIB n'en demeure pas moins stagnante.

L'Europe et le monde ne peuvent se permettre de laisser la France du dynamisme succomber à la France de l'inertie, à cette France résistante à tout changement. La coopération de la France dans le cadre de la construction d'un marché européen commun en matière d'énergies s'avère par exemple cruciale pour l'Espagne ; cette relation revêtant en effet un potentiel bénéfique considérable à la fois pour la France et pour l'Europe tout entière. La France devrait considérer l'Europe comme sienne. C'est bien dans l'UE que les valeurs républicaines françaises trouvent leur pleine expression. Liberté, égalité et fraternité sont les ennemies des visions nationalistes, extrémistes et europhobes qui assombrissent aujourd'hui l'Europe. Il est nécessaire d'opposer à ces conceptions le plein attachement de la France à l'intégration, à la primauté du droit et à la laïcité.

La France a récemment entrepris plusieurs engagements internationaux importants, qu'il nous incombe à tous de saluer, avec pour espoir que se poursuive la renaissance politique, économique et sociale de la France. Il ne peut être procédé à aucune marche arrière sur la voie de la modernisation, et encore moins à l'heure où progressent ces forces politiques qui exploitent la peur et la haine, trahissant les valeurs républicaines. L'heure est venue pour la France, ainsi que pour le reste de l'Europe, de surmonter le pessimisme, le doute et la méfiance.

Traduit de l'anglais par Martin Morel.
© Project Syndicate, 2014.

L'Europe a besoin d'une France fière, prospère et capable de s'affranchir des craintes qui l'éprouvent. Il nous faut pouvoir compter sur ce grand pays qu'a été et que sera la France ‒ inspiratrice du monde entier à travers sa Révolution, sa culture et ses valeurs. « Sans l'Europe, la France ne sera plus rien », a un jour fait valoir l'intellectuel et homme politique Alain Peyrefitte,...

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