Les anciens combattants américains d'Irak observent avec amertume la poussée jihadiste dans le pays, en colère de voir leurs efforts réduits à néant par le sectarisme des dirigeants irakiens ou la décision de Barack Obama de retirer les troupes fin 2011.
La prise en janvier de Fallouja, symbole de l'engagement américain en Irak, par l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL, ou Daech), avait déjà été un crève-cœur. Aujourd'hui, alors que les insurgés sunnites se sont emparés de larges pans du nord et de l'est de l'Irak, John Nagl dit n'éprouver que "colère, amertume et chagrin". "Pas mal de mes amis et d'Irakiens sont morts pour donner à l'Irak une chance d'être libre, stable et multi-ethnique", rappelle à l'AFP cet ancien officier spécialiste de la contre-insurrection. Selon lui, "les gouvernements irakien et américain ont fait de grossières erreurs qui auraient pu être évitées, et ont fait de tous ces sacrifices un gâchis".
Un avis partagé par Paul Hugues, un ancien colonel déployé en Irak désormais à l'US Institute for Peace: "aucun soldat ne veut regarder en arrière sur les sacrifices consentis et se rendre compte que tout ça c'était pour rien".
Dans un sondage réalisé en avril pour le Washington Post, 50% des anciens d'Irak considèrent que la guerre ne valait pas le coup d'être conduite. Mais 87% se disent fiers d'y avoir participé.
"Notre politique a failli"
Les responsables du Pentagone se sont rendus compte du désarroi des vétérans d'Irak face à la poussée jihadiste. "Comme beaucoup d'entre vous, j'ai été déçu par la vitesse à laquelle la situation s'est détériorée en Irak et l'effondrement de nombreuses unités irakiennes", a confié sur son compte Facebook le plus haut gradé américain, le général Martin Dempsey. Mais, a-t-il ajouté, "je suis fier de ce que nous avons accompli. Nous avons fourni au peuple irakien une opportunité unique pour un avenir meilleur. Rien ne viendra remettre en question cet accomplissement".
Le secrétaire à la Défense Chuck Hagel, pourtant jadis critique de la politique américaine en Irak, considère lui aussi que les Etats-Unis ont "fait tout ce qui est possible pour les aider" après le renversement de Saddam Hussein.
(Lire aussi : L'Irak demande « officiellement » l'aide des USA)
Pourtant, nombreux sont ceux à remettre en cause la décision du président Barack Obama de retirer les troupes du pays fin 2011 après le refus des dirigeants irakiens de leur accorder les protections juridiques réclamées. Garder quelques milliers d'hommes en Irak aurait permis d'avoir beaucoup plus d'influence sur le gouvernement du chiite Nouri al-Maliki, veut croire John Nagl. Et la décision du président Barack Obama de renvoyer aujourd'hui 300 conseillers militaires n'est, selon lui, que "l'aveu le plus clair que nous étions dans l'erreur, que notre politique a failli". Pour autant le sectarisme de la politique de Nouri al-Maliki a joué un "rôle énorme" dans la situation actuelle, concède-t-il.
Au pouvoir depuis 2006, M. Maliki est accusé d'avoir mené une politique confessionnelle qui a marginalisé la minorité sunnite, aliéné aussi ses partenaires kurdes et chiites, et préparé le terrain à l'offensive jihadiste.
(Lire aussi: L’Irak est-il en train de payer les erreurs de Maliki ?)
Paul Hugues juge lui aussi que "l'attaque de l'EIIL est la faute du gouvernement Maliki, qui a aliéné et discriminé les sunnites". Le colonel Hugues ne voit pas comment Washington pourrait maintenant agir. "L'objectif politique pour n'importe quelle action militaire n'est pas clair" selon lui.
Pour le major Andrew Rohrer, qui s'exprimait sur Facebook, la guerre en Irak est "un problème irakien que nous n'aurions jamais pu régler en cent ans".
L'association des Vétérans d'Irak (IVAW) contre la guerre ne veut elle pas entendre parler d'une nouvelle implication américaine entre le Tigre et l'Euphrate. "Ceux d'entre nous qui sommes allés là-bas sommes bien placés pour savoir que les solutions militaires américaines en Irak ne sont pas dans l'intérêt des Irakiens", assène-t-elle dans un communiqué. John Nagl, l'expert en contre-insurrection, non plus "ne sait pas si la situation peut être renversée. Ca va vraiment mal".
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commentaires (3)
Ces vétérans ? Tout juste une quantité négligeable !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
15 h 51, le 21 juin 2014