Le plus influent dignitaire chiite d'Irak a appelé la population à prendre les armes pour stopper l'offensive fulgurante des jihadistes qui avancent vers Bagdad.
En effet, dans un message lu par son représentant à Kerbala, Ali Sistani a déclaré : « L'Irak fait face à un défi majeur et à un danger extraordinaire. Les terroristes ne veulent pas contrôler certaines provinces, mais ils ont annoncé qu'ils visaient toutes les provinces dont Bagdad, Kerbala et Najaf. À partir de là, la responsabilité de leur faire face et de lutter contre eux incombe à tous et ne concerne pas une seule confession ou une seule partie. » « Ceux qui mourront en combattant Daech (État islamique en Irak et au Levant (EIIL)) seront des martyrs », a-t-il ajouté, déclenchant les acclamations de la foule.
Un tel appel risque de provoquer une répétition des affrontements communautaires qui ont ensanglanté l'Irak en 2006 et 2007 et d'alimenter le scénario d'une partition du pays. Le gouvernement irakien avait auparavant lancé un appel similaire à la population, et quelques milliers de volontaires y ont déjà répondu. Venus de différentes provinces du pays, ils sont rassemblés sur la base d'al-Mouthanna, au cœur de Bagdad, attendant d'être affectés dans les différents centres d'entraînement créés spécialement par les autorités à Taji, au nord de la capitale.
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Hicham, l'un d'entre eux, n'a que 23 ans. Sa femme, qu'il a épousée il y a un mois et demi à peine, ne voulait pas le voir partir. Alors il a quitté la maison à l'aube, avec son beau-père. « Elle ne réalise pas le danger qui guette le pays. Si je reste à la maison et si d'autres font de même qui va défendre notre honneur ? » explique-t-il. « L'amour du pays et mon désir de le servir m'ont poussé à ne pas manquer à l'appel, l'Irak est en danger et c'est bien le moment de le servir », déclare Mohammad Mehdi Saleh, un officier de l'armée à la retraite prêt à reprendre le combat. Avant de se rembrunir et de lancer : « C'est le pays des prophètes et des civilisations, comment laisser des bandits et des terroristes le gouverner ? »
(Reportage : « Nous vivons sous le choc et dans la peur, une peur que nous n'avions plus connue depuis 2003 »)
Parallèlement, le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki a affirmé hier que les forces de sécurité avaient commencé à « nettoyer » certaines villes de ces jihadistes, qui semblent pourtant avoir l'avantage sur une armée et une police incapables d'enrayer leur progression. Le cabinet du Premier ministre a aussi annoncé la mise en place d'un plan de sécurité pour défendre Bagdad, incluant un déploiement massif de forces de sécurité et un renforcement du renseignement.
« Un éventail d'options »
Par ailleurs, à Washington, le président américain Barack Obama, excluant l'envoi de troupes au sol, a dit examiner « un éventail d'options pour soutenir les forces de sécurité irakiennes », précisant qu'il ne fallait pas s'attendre à une action américaine « du jour au lendemain ».
« Cela représente un danger pour l'Irak et son peuple, et, étant donné la nature de ces terroristes, cela pourrait, à terme, menacer également les intérêts américains », a souligné M. Obama. Il a également déclaré que « sans effort politique, toute action militaire sera vouée à l'échec ». Nous voulons être certains d'avoir une bonne compréhension de la situation. Nous voulons nous assurer d'avoir rassemblé les renseignements nécessaires pour que, si je décide d'agir, d'une manière ou d'autre, nos actions soient ciblées, précises et efficaces, a-t-il précisé. Par ailleurs, l'administration américaine a déclaré qu'il n'y avait aucun contact avec les Iraniens sur la question Irakienne alors que l'Iran est tellement préoccupé par la progression des jihadistes sunnites en Irak qu'il pourrait coopérer avec les États-Unis pour lutter contre cette menace d'après un responsable iranien de haut rang.
« Nous sommes les soldats de l'islam »
Des hélicoptères de l'armée ont tiré hier des roquettes sur l'une des principales mosquées de Tikrit, bastion du défunt dirigeant Saddam Hussein, tombée mercredi aux mains des jihadistes. On ignore si ces tirs ont fait des victimes. Par ailleurs, Daech a annoncé hier qu'il donnait aux militaires et aux policiers « une chance de se repentir ». « À ceux qui se demandent qui nous sommes, nous sommes les soldats de l'islam et nous avons endossé la responsabilité de restaurer la gloire du califat islamique », dit l'organisation. Les Irakiens habitant près de la Syrie, où Daech contrôle aussi des pans entiers de territoire, rapportent que les jihadistes s'emploient à l'aide de bulldozers à effacer toute trace de la frontière.
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Aux dernières nouvelles, les jihadistes de Daech connus pour leur brutalité en Syrie voisine où ils sont très actifs se trouvent désormais à moins de 100 km de Bagdad après avoir réussi à prendre depuis mardi Mossoul et sa province Ninive (Nord), Tikrit et d'autres régions de la province de Salaheddine, ainsi que des secteurs des provinces de Diyala (Est) et de Kirkouk (Nord). De son côté, la haut-commissaire de l'ONU aux Droits de l'homme, Mme Navi Pillay, a fait part de son inquiétude après que l'ONU a reçu, selon elle, des informations selon lesquelles des « soldats irakiens ont été sommairement exécutés durant la prise de Mossoul ». Désavoué par le réseau el-Qaëda ambitionnant de créer un État islamique, Daech est réputé pour ses exactions, rapts et exécutions.
À Bagdad, rues désertes
Les agences des Nations unies ont par ailleurs augmenté leur fourniture d'aide humanitaire « anticipant de nouveaux déplacements » de personnes. L'Organisation internationale pour les migrations (OIM) a ainsi déjà fait état de la fuite d'environ 40 000 personnes de Tikrit et Samarra, et de plus de 500 000 de Mossoul, deuxième ville d'Irak.
À Bagdad, sur laquelle l'un des dirigeants de Daech a appelé cette semaine ses combattants « à marcher », les rues étaient quasi désertes et les commerces fermés, par crainte d'une arrivée imminente des jihadistes. Après leur entrée dans Diyala, l'armée tentait de les empêcher d'avancer jusqu'à son chef-lieu Baaqoubah, à 60 km de Bagdad, selon des responsables.
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D'autres témoins ont fait état de renforts rebelles aux alentours de Samarra (110 km au nord de Bagdad), où s'est rendu M. Maliki hier, de préparatifs semblant augurer d'un possible assaut de ce groupe qualifié de l'un des « plus dangereux au monde » par Washington. Craignant pour leur sécurité, des sociétés américaines travaillant pour le gouvernement irakien dans le secteur de la défense ont fait évacuer leurs employés américains de la base aérienne de Balad, dans la province de Diyala, vers Bagdad.
À Mossoul, les jihadistes continuaient de détenir une cinquantaine de citoyens turcs pris en otages au consulat, de même que 31 chauffeurs turcs. Gravitant le long de la frontière poreuse irako-syrienne, Daech compte notamment d'ex-cadres et membres des services de sécurité de l'ancien président Saddam Hussein, selon des experts militaires.
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LA LIBRE EXPRESSION
19 h 36, le 17 juin 2014