« L'Orient-Le Jour » – Est-ce que les forces kurdes et irakiennes officielles suffiront pour endiguer l'avancée jihadiste ?
Karim Bitar – Ce qui est sûr, c'est que les Kurdes pourraient être les grands gagnants s'ils exploitaient leurs succès sur le terrain. Les peshmergas sont une institution bien équipée et entraînée (par les États-Unis), et particulièrement bien disciplinée. Ils sont donc les plus à même d'endiguer cette avancée. L'armée irakienne officielle, elle, a fait en revanche preuve d'une assez surprenante indiscipline, abandonnant des territoires à des forces pourtant inférieures en nombre. Les Kurdes devraient donc en profiter pour se renforcer, notamment dans ce qui relève de leur autonomie. Il est important de souligner que le Kurdistan irakien est bien géré et que plus de 50 % des investissements y sont localisés.
(Reportage : « Nous vivons sous le choc et dans la peur, une peur que nous n'avions plus connue depuis 2003 »)
Quel pourrait être l'impact des progrès de Daech (État islamique en Irak et au Levant – EIIL) sur le conflit syrien ?
Nous sommes en présence de deux pays devenus des vases communicants. Dès la prise de Mossoul, les insurgés ont envoyé un bulldozer sur la frontière Sykes-Picot, ce qui a une forte symbolique. Les politiques répressives de Bachar el-Assad en Syrie et de Nouri al-Maliki en Irak ont permis le renforcement de Daech : l'humiliation ressentie par la communauté sunnite face à ces répressions a créé un esprit de revanchisme qui, paradoxalement, fait augmenter la répression. Nous sommes donc en présence d'un cercle vicieux particulièrement difficile à briser, sauf intervention d'un troisième acteur. Il y a en outre à présent un double espoir de revoir les sunnites au pouvoir en Irak et parallèlement la chute de M. Assad en Syrie.
(Lire aussi: En Irak, les jihadistes se rapprochent de leur objectif : la création d'un État islamique)
L'Iran a dit vouloir combattre le terrorisme en Irak. Par quels moyens le pourrait-il et qu'a-t-il à gagner ?
Les événements de cette semaine montrent que l'Irak est un État failli. Mais il est également très largement sous influence iranienne ; certains le qualifient même de « colonie » iranienne. Il est aussi important de souligner qu'en ce moment, le chef des Brigades al-Qods, Qassem el-Suleimani, se trouve en Irak et pourrait prendre prétexte des lieux saints chiites – sur lesquels pèse d'ailleurs une menace très réelle – pour prendre encore plus pied en Irak. Le paradoxe, c'est que Nouri al-Maliki va pouvoir compter à la fois sur l'Iran et les États-Unis, et cela pourrait accélérer le rapprochement entre Téhéran et Washington (qui a déjà commencé depuis l'arrivée au pouvoir du président iranien Hassan Rouhani). En outre, les États-Unis ont besoin de l'Iran pour leur retrait d'Afghanistan. Washington est donc doublement dépendant de Téhéran en ce qui concerne ce retrait et le conflit syrien. En attendant, l'Irak paie le prix d'un désastre stratégique et de dix ans d'interventionnisme américain.
Et ils auront raison, en effet, car c'est à cause de la collaboration avec les Américains de l'aSSadique nusayrî et des chïïtes fakkihistes d'Irak que Saddâm a pu être si facilement dégommé !
12 h 58, le 13 juin 2014