La quatrième séance parlementaire consacrée à l'élection du nouveau président de la République, prévue en principe ce matin, connaîtra en toute vraisemblance le même sort que les deux précédentes, à savoir un report du vote en raison d'un défaut de quorum. Les estimations les plus optimistes, hier soir, faisaient état de la possible présence dans l'hémicycle, aujourd'hui, de 80 députés environ, soit six de moins que le nombre requis pour le quorum. La configuration des présences sera la même que lors des séances du 30 avril et du 7 mai, en ce sens que les députés du 14 Mars dans leur ensemble ainsi que les membres des blocs de Nabih Berry et de Walid Joumblatt répondront à l'appel, pour le principe...
En se laissant aller au jeu de la realpolitik, il est permis de penser que les initiateurs du défaut de quorum – le Hezbollah et le courant aouniste – se sentent sans doute renforcés aujourd'hui dans leur position obstructionniste par la perspective de la réunion que devraient tenir dans les prochains jours à Riyad les ministres saoudien et iranien des Affaires étrangères, l'émir Saoud el-Fayçal et Mohammad Jawad Zarif. Des sources diplomatiques citées par notre correspondant au palais Bustros, Khalil Fleyhane, confirment à cet égard que le chef de la diplomatie iranienne répondra favorablement à l'invitation (orale) que lui a adressée, par voie de presse, son homologue saoudien.
(Repère : Qui, quand, comment... Le manuel de l'élection présidentielle libanaise)
Le fait que M. Zarif ait saisi la balle au vol en réagissant très vite et favorablement à la démarche de Saoud el-Fayçal, en dépit de l'absence d'invitation officielle transmise par les canaux diplomatiques, peut avoir l'une des deux explications suivantes : soit la partie iranienne accorde une importance exceptionnelle à cette ouverture en direction de l'Arabie saoudite au point de négliger totalement les considérations protocolaires; soit les discussions informelles entre les deux parties, par l'intermédiaire d'émissaires discrets, ont atteint un stade avancé et ne nécessitent donc qu'une réunion publique afin d'être officialisées.
Pour l'heure, il est encore difficile de faire la part des choses sur ce plan. Au stade actuel, il paraît acquis – et cela constitue une lapalissade – que le dossier épineux de la présidentielle figurera en bonne place dans l'ordre du jour de la réunion entre les deux ministres des Affaires étrangères, comme le rapporte notre correspondant au palais Bustros qui rappelle, en passant, que le ministre Gebran Bassil a conféré à Riyad, il y a quelques jours, avec son homologue saoudien et par la suite avec le leader du courant du Futur, Saad Hariri. L'émir Saoud el-Fayçal, précise Khalil Fleyhane, se serait contenté d'écouter uniquement M. Bassil.
Si l'on ajoute à ces entretiens de Riyad les deux réunions que M. Bassil a tenues hier au palais Bustros, loin des feux de la rampe, avec l'ambassadeur des États-Unis, David Hale, et avec l'ambassadeur de France, Patrice Paoli, on en déduit sans trop de risques de se tromper que les grandes capitales étrangères concernées par l'échéance présidentielle semblent s'être départies quelque peu de leur attitude de réserve. Il n'en fallait pas tant pour que les milieux aounistes sautent rapidement aux conclusions en affirmant que ces démarches diplomatiques ainsi que la prochaine réunion saoudo-iranienne pourraient accroître les chances du général Michel Aoun d'accéder à la présidence, d'autant, croient savoir ces mêmes milieux, que les concertations entre le courant du Futur et le CPL ont enregistré de réels progrès et pourraient déboucher prochainement, comme conséquence logique, sur un appui de Saad Hariri à la candidature du général Aoun.
Cette perspective a toutefois été explicitement écartée par le chef du bloc parlementaire du courant du Futur, Fouad Siniora, et par M. Nader Hariri, chef de cabinet de Saad Hariri, qui ont affirmé tous deux, lors d'une réunion du 14 Mars tenue mardi, qu'il n'y avait pas d'accord entre le Futur et le CPL.
(Voir : Qu'attendez-vous du prochain président? Les Libanais répondent)
La précédente expérience de Saad Hariri
Il reste que diverses sources d'informations font état de discussions très concrètes entre les deux adversaires farouches qu'étaient, jusqu'à tout récemment, le courant aouniste et le Futur. Les entretiens bilatéraux auraient porté dans ce cadre sur des contrats juteux que proposeraient de se partager les aounistes et le Futur, notamment dans le domaine de l'exploitation des importantes ressources pétrolières et gazières dont bénéficie le Liban. Certains milieux font même état d'une implication, dans ce possible partage du gâteau, du magnat du pétrole syro-texan, Jamal Daniel. Ce qui a poussé un ancien diplomate à mettre en garde, au cas où ces informations se confirmaient, contre une nouvelle dérive oligarchique dans le pays.
Une source du 14 Mars apporte toutefois un bémol aux appréhensions de cet ancien diplomate et souligne que, d'une part, nombre de factions locales s'opposeront sans détours à toute oligarchie d'un genre nouveau qui pourrait poindre à l'horizon, et d'autre part, il est peu probable que Saad Hariri se laisse entraîner dans un marché, aux résultats hypothétiques, avec le 8 Mars. Le leader du courant du Futur, relève à cet égard la source précitée, n'a pas oublié la funeste expérience qu'il a vécue – ou plutôt subie – lors des tractations dans lesquelles il s'était englué dans le cadre de la solution dite syro-saoudienne (S-S), en 2009.
Sous le couvert de la négociation d'un package deal global censé mettre un terme à la crise chronique qui ébranlait à l'époque le pays, sous le poids de la « contre-révolution » menée alors tambour battant par le régime syrien et le Hezbollah – avec l'apport du courant aouniste – Saad Hariri avait été amené à faire concession sur concession. Il avait, d'abord, demandé à ses médias et aux responsables du Futur de mettre une sourdine aux attaques contre le pouvoir syrien. Il avait été ensuite contraint d'effectuer une visite officielle en Syrie et de s'entretenir publiquement avec Bachar el-Assad, accusé d'être le commanditaire de l'attentat du 14 février 2005. Et dans le sillage de ces concessions, réclamées pour favoriser un prétendu accord global avec Damas et le 8 Mars, il avait accepté de faire une déclaration au quotidien al-Chark el-Awssat reprenant à son propre compte la thèse du Hezbollah et du 8 Mars concernant le dossier des prétendus faux témoins dans l'affaire de l'assassinat de son père, Rafic Hariri.
Le leader du Futur avait ainsi consenti à faire cette série de concessions au régime syrien et au Hezbollah dans la perspective d'un marché global en vue d'une sortie de crise, mais après avoir obtenu ce qu'ils voulaient de lui, le pouvoir baassiste et le Hezbollah l'ont quand même poignardé dans le dos et ont provoqué la chute du gouvernement qu'il présidait, au moment même où il était réuni à la Maison-Blanche avec le président Barack Obama. Et c'est le ministre Gebran Bassil qui avait lu alors, sur un ton sarcastique, le communiqué annonçant la démission des ministres du 8 Mars, provoquant ainsi la chute du cabinet de Saad Hariri.
La source du 14 Mars susmentionnée souligne ainsi dans ce cadre, fort à propos, que le leader du Futur n'a sans doute pas oublié l'ensemble de ces développements. Et de ce fait, il serait quelque peu difficile qu'il se laisse prendre une nouvelle fois à ce même jeu trompeur...
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commentaires (5)
Ouch! Un article illumineur et ravageur, a la fois.
George Sabat
11 h 35, le 15 mai 2014