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Économie - Transitions

« Construire l’avenir : emploi, croissance et équité dans le monde arabe »

Une conférence régionale organisée par le FMI s'est tenue dans la capitale jordanienne pour lancer le débat sur les défis économiques des pays arabes en transition.

De g. à dr. la directrice du FMI, Christine Lagarde, le Premier ministre jordanien, Abdallah Ensour, et le directeur du Fonds arabe pour le développement économique et social, Abdel Latif Youssef al-Hamad. Photo Bachir el-Khoury

Une conférence régionale organisée par le Fonds monétaire international (FMI) en collaboration avec le gouvernement de Jordanie et le Fonds arabe pour le développement économique et social s'est tenue à Amman, les 11 et 12 mai, pour lancer un débat interarabe sur les défis économiques des pays en transition, trois ans après la série de révoltes populaires ayant secoué la région. Plus de 200 hauts responsables, académiciens, hommes d'affaires, représentants de la société civile et journalistes ont pris part à cet événement placé sous le thème « Construire l'avenir : emploi, croissance et équité dans le monde arabe ». Le débat, canalisé à travers plusieurs sessions thématiques, a notamment porté sur les questions de la stabilité macroéconomique, de l'emploi des jeunes, du climat des affaires et de la corruption.
La directrice du FMI, Christine Lagarde, s'est voulue optimiste, assurant qu'« en dépit de la phase critique que traversent certains pays de la région, la tendance est désormais à une stabilisation ». « Celle-ci reste toutefois fragile, c'est pourquoi il faudra poursuivre les réformes structurelles », a-t-elle souligné.
Aujourd'hui, les pays du printemps arabe croissent à un rythme d'environ 3 % par an, contre 5 à 6 % avant les révoltes, en raison d'une instabilité politique et sécuritaire ayant duré plus longtemps que prévu. Cela a exposé les pays concernés à un double défi sur le plan économique : répondre aux besoins les plus pressants, tout en cherchant à satisfaire les objectifs à long terme. Or, ces deux impératifs sont parfois en contradiction l'un avec l'autre. L'augmentation des salaires ou le maintien des subventions pour contenir la grogne sociale accentue, par exemple, la pression sur les finances publiques, tandis que la rationalisation des dépenses compromet une croissance déjà molle. Dans ce contexte, une politique de stabilisation macroéconomique, qui s'inscrirait dans une perspective de court et de moyen terme, s'impose, ont estimé les participants à la conférence.
Parmi les réformes-clés à entreprendre sur le plan macro-fiscal figure notamment celle des subventions énergétiques qui représentaient quelque 237 milliards de dollars dans la région en 2011. Selon le patron du FMI, ces subventions devraient progressivement céder la place à des transferts sociaux en nature ciblant les segments les plus fragiles et permettant, par la même occasion, de dégager des montants susceptibles d'être investis dans l'éducation et la santé, garants d'un développement plus durable. Les subventions énergétiques représentent aujourd'hui 30 % du budget public en Égypte, 24 % en Libye et 21 % des dépenses au Yémen.

Les trois « Middle » de Lagarde
Jouant sur l'expression « Middle East » qui désigne une partie des pays de la région, la directrice du FMI a par ailleurs mis l'accent sur la nécessité de renforcer trois objectifs socio-économiques. « Le premier porte sur les PME (Small and Medium Entreprises, en anglais) qui permettent de générer un nombre important d'emplois pour les jeunes. Le deuxième consiste à renforcer la classe moyenne (Middle Class), tandis que le troisième objectif consiste à réduire le rôle économique de l'État en faveur du secteur privé (Middle Size State) », a-t-elle souligné.
Christine Lagarde a également mis l'accent sur les inégalités de revenus dans le monde arabe, soulignant que celles-ci étaient néfastes non seulement sur le plan social, mais également au niveau économique. « Le FMI se focalise davantage sur cette question (...) Selon des études menées par nos équipes, les inégalités se répercutent négativement sur la croissance », a-t-elle souligné.
Les disparités ne concernent pas uniquement les individus et les ménages vivant dans des foyers urbains, mais aussi ceux qui habitent les zones rurales, a insisté, de son côté, le directeur du Fonds arabe pour le développement économique et social, Abdel Latif Youssef al-Hamad. « Le manque cruel d'infrastructures dans ces régions reculées, qu'il s'agisse d'électricité, d'approvisionnement en eau ou d'hôpitaux, est l'un des facteurs majeurs à l'origine des soulèvements populaires en Égypte et en Tunisie », a-t-il rappelé.

Réduire les inégalités de genre
Les participants à la conférence ont évoqué, en parallèle, les fortes inégalités entre hommes et femmes, une des principales caractéristiques du monde arabe. « Les trois quarts des femmes sont aujourd'hui sans emploi dans la région (...) Le fossé dans l'accès au marché du travail est trois fois supérieur à la moyenne des zones émergentes. Or, si celui-ci était deux fois supérieur, cela aurait rapporté un trillion de dollars aux économies de la région », a précisé Christine Lagarde.
Mais la situation commence à s'améliorer dans certains pays, ont souligné certains intervenants. Au Koweït, par exemple, la moitié des fonctionnaires du secteur public sont des femmes tandis que ces dernières représentent désormais la majorité des étudiants au sein des universités.

Jordanie, Maroc, Tunisie
De son côté, le Premier ministre jordanien, Abdallah Ensour, a dressé un tableau des principales réalisations mises en œuvre par la Jordanie, avant et durant les révoltes arabes, pour tenter de répondre aux aspirations politiques et économiques du peuple. « La Jordanie avait entamé une série de réformes à la fin des années 1980 (...) Mais celles-ci ont été complétées et consolidées dans le sillage du vent de révolte qui a soufflé il y a trois ans sur l'ensemble de la région (...) Sur le plan politique, nous avons récemment amendé la Constitution de manière à transférer davantage de prérogatives au Parlement, accordé le droit à former des partis politiques et consolidé le cadre légal propre au respect de la liberté de presse ». Sur le plan économique, « nous avons augmenté les transferts directs aux ménages les plus défavorisés, et tentons aujourd'hui d'apporter un soutien actif aux petites et moyennes entreprises (PME) et d'alléger le poids de la bureaucratie », a-t-il ajouté.
« Mais le problème de la Jordanie réside au niveau des crises voisines qui l'empêchent de mener l'ensemble des réformes à bien. Cela a été le cas durant les guerres israélo-arabes de 1967 et 1973, et plus récemment avec la crise des réfugiés irakiens puis des réfugiés syriens », a-t-il souligné.
De son côté, le ministre marocain de l'Économie et des Finances, Mohammad Boussaid, a énuméré les nombreuses réformes appliquées dans les années 2000 par le monarque Mohammad VI qui a échappé, à l'instar du roi hachémite, à un renversement de pouvoir, dans le sillage du printemps arabe.
« Il existait une vision économique globale et des stratégies sectorielles claires (...) Celles-ci ont porté la croissance à 4,5 % durant la dernière décennie, contre 3 % dans les années 1990 », a-t-il indiqué, soulignant que la croissance actuelle était davantage freinée par la crise en Europe que par l'instabilité dans la région. « Le Maroc a en outre créé une unité chargée de lutter contre la corruption », a-t-il ajouté, soulignant l'importance du développement de la gouvernance électronique dans le monde arabe pour contrer les pratiques corrompues.
Quant au gouverneur de la Banque centrale tunisienne, Chedly Ayari, il s'est félicité des progrès accomplis par son pays, notamment au niveau politique (adoption d'une nouvelle Constitution), déplorant toutefois le peu de moyens dont dispose le pays pour honorer ses dépenses. Le pays tente de compter sur les aides étrangères en attendant une plus forte reprise. Les autorités visent à cet égard « deux points de plus au niveau de la croissance », a-t-il précisé.
En Libye, la situation, similaire à celle d'autres pays arabes par plusieurs aspects, se démarque « par l'absence totale d'institutions étatiques », a déploré de son côté le gouverneur de la Banque centrale libyenne, Saddek el-Kaber. « Nous héritons d'un État qui n'en est pas un. L'institution militaire a été détruite il y a plus de 30 ans. Les salaires et indemnités représentent 45 % du budget de l'État, car certains fonctionnaires perçoivent plusieurs salaires », a-t-il ajouté.

Renforcer la culture entrepreneuriale
Le chômage des jeunes reste le principal défi des pays arabes et devrait figurer en tête des priorités des gouvernements transitoires, ont souligné à l'unanimité les participants à la conférence. Sa réduction passe par l'application d'un ensemble de réformes, dont notamment le renforcement de la culture entrepreneuriale, l'émergence d'un secteur privé fort et indépendant, et le développement du secteur financier.
Le chômage des jeunes dans la région s'élève à plus de 25 %, le taux le plus élevé au monde. Celui-ci est notamment dû à une inadéquation entre une structure démographique, caractérisée par une croissance toujours assez soutenue, et une structure économique incapable de répondre aux besoins d'une nouvelle génération montante. « De plus en plus de jeunes diplômés arrivent aujourd'hui sur le marché du travail. En Tunisie, ils sont 70 000 chaque année à chercher un emploi », a précisé le gouverneur de la Banque centrale tunisienne. Le problème réside également au niveau des mentalités. « De nombreux Arabes continuent de favoriser l'emploi dans le secteur public, considéré comme plus sûr et plus prestigieux. Il faut donc œuvrer pour un changement de la culture », a souligné le ministre marocain de l'Économie et des Finances.
Les participants à la conférence ont enfin plaidé pour une plus grande implication des pays du Golfe et des banques régionales de développement dans le soutien des pays arabes en difficulté et la création de nouveaux emplois, soulignant l'importance d'une solidarité accrue et de la création d'un environnement général propice à la croissance.

 

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