Élu président en champion de la relance et des classes moyennes contre l'austérité, François Hollande, qui fête jeudi ses deux ans de pouvoir en France, a opéré une volte-face au profit d'une politique de l'offre centrée sur les entreprises, assortie d'un tour de vis budgétaire. « L'offre crée la demande » : pour les économistes, c'est avec cette phrase, lors de sa conférence de presse du 14 janvier dernier, que le président français a consommé la rupture avec le candidat. Cette citation de l'économiste français du XIXe siècle Jean-Baptiste Say postule, pour schématiser, que la clé de la prospérité est dans la production plutôt que dans la consommation, du côté des entreprises plutôt que des ménages. En la reprenant, le président aurait affiché la couleur. Mais pour Éric Heyer, économiste à l'OFCE, institut classé à gauche, le tournant a en réalité débuté en novembre 2012, avec la remise d'un rapport sur la compétitivité de l'industrie française. Il préconisait de frapper un grand coup pour restaurer les profits des entreprises via des baisses de charges, en taxant les ménages et en taillant dans les dépenses publiques pour compenser. Soit tout l'inverse des promesses de campagne de Hollande, qui suite à ce rapport a mis sur les rails le « CICE », crédit d'impôt de 20 milliards d'euros pour les entreprises, financé entre autres par une hausse de TVA début 2014. Le « Pacte de responsabilité et de solidarité », batterie de réformes prévues d'ici à 2017, consacre le changement. Les ménages, en première ligne face à un effort d'économies sans précédent et aux hausses d'impôt des dernières années, bénéficieront d'un geste de 5 milliards d'euros à peine, réservé aux plus modestes. Les entreprises recevront un coup de pouce de 40 milliards d'euros au total.
Quant à la réforme fiscale promise par le candidat Hollande, elle semble enterrée. L'un de ses inspirateurs, l'économiste Thomas Piketty, est aujourd'hui moins influent en France qu'aux États-Unis, où son dernier ouvrage Le capital au XXIe siècle est devenu un phénomène médiatique.
« Virage à 180 degrés »
L'autre grande rupture économique est européenne. Élu après une campagne anti-austérité, volontiers offensif face à une Allemagne aux avant-postes de la rigueur budgétaire, Hollande a « présenté en septembre 2012 le budget d'austérité le plus important » depuis 1958, avec un effort de réduction du déficit d'une trentaine de milliards d'euros, via surtout des hausses d'impôt, rappelle Éric Heyer.
Désormais, le gouvernement veut passer par les économies pour redresser les finances. Il a promis d'en faire 4 milliards d'euros de plus en 2014 afin de ramener le déficit public l'an prochain à 3 % du produit intérieur brut, le seuil européen, et d'arriver à couper 50 milliards d'euros au total dans les dépenses d'ici à 2017. « C'est un virage à 180 degrés, mais il n'y avait pas le choix », assène Ludovic Subran, économiste de l'assureur-crédit Euler Hermes. « La France était un peu le dernier des Mohicans en Europe » à faire une politique « keynésienne » de relance par les déficits, résume-t-il.
Pour M. Subran, cette exception « a permis à la France d'amortir mieux que beaucoup d'autres » la crise, mais, désormais, il faut « se serrer la ceinture » sans « casser la croissance » et surtout en « montrant qu'on peut réformer », sous peine de saper complètement le modèle d'État-providence à la française.
M. Heyer, fataliste, déclare : « Quand il n'y a pas de solidarité en Europe et que les pays font une course aux parts de marché » par la modération salariale et budgétaire, « il faut faire pareil ou on se fait manger tout cru ». Dans ce contexte défensif, il juge peu probable que Hollande connaisse les mêmes résultats en termes de compétitivité que le chancelier social-démocrate allemand Gerhard Schröder, qui en 2003 avait lancé de dures réformes, s'aliénant une partie de son camp politique.
« Schröder avait une forte croissance mondiale, il a laissé filer les déficits, il était seul en Europe à faire ces réformes », résume-t-il. Hollande doit, lui, composer avec une croissance molle, des engagements budgétaires stricts et des pays du Sud de l'Europe ayant déjà taillé dans le vif dans les salaires et les prestations sociales.
(Source : AFP)