Depuis la nuit des temps, politique et mensonge font généralement bon ménage ; le phénomène est proprement universel et de doctes théoriciens lui ont consacré des masses de volumes (encore que nos virtuoses locaux pourraient fort bien leur en remontrer sur la question).
S'il est question ici de mensonge, c'est parce qu'avec plus d'acuité que jamais nous en vivons aujourd'hui les effets pervers. Incapable d'accoucher d'une loi électorale, c'est, disait-il, pour épargner aux citoyens les affres de l'abandon que le Parlement s'est royalement octroyé une substantielle rallonge de service. Longtemps cependant, il est demeuré amorphe face aux criantes anomalies d'une législation souvent tombée en désuétude, comme aux éruptions de violence qui ont soudain envahi, au point de la défigurer totalement, la société libanaise.
Voilà pourtant l'Assemblée qui met soudain les bouchées doubles. Mais si une nouvelle loi sur les loyers est enfin adoptée, la tambouille a souvent bien du mal à passer. Des mois durant, ainsi, les journaliers de l'Électricité du Liban ont épisodiquement envahi les rues, congestionnant une circulation automobile déjà engorgée, pour obtenir d'être intégrés au cadre. On les a noyés de promesses, députés et ministres ont même joué des coudes pour aller prendre des bains de foule ouvrière devant les caméras de télévision, pour caresser les manifestants dans le sens du poil et les assurer de leur soutien. Maintenant que sonne l'heure de vérité et qu'il faut trouver les sources de financement nécessaires pour caser tout ce monde, on ne trouve pas mieux que de repousser le débat...
On a paru faire diligence au contraire pour voler enfin – mais bien bas, hélas – au secours des femmes battues par leurs conjoints : ou, pire encore, carrément abattues, comme l'illustre l'effrayante prolifération de ce genre de crime. À la grande déception en effet des ONG concernées, et à leur tête KAFA (Ça suffit), la loi votée n'a inclus aucun des amendements promis par des dizaines de parlementaires, qui n'ont pas tardé à se dédire. Entre autres failles, cette loi tronquée et passablement scélérate ne garantit nulle célérité en matière de recours judiciaire ; elle réserve à cette victime toute désignée qu'est la femme le même statut que l'époux qui viendrait à être martyrisé par une maritorne en furie armée d'un rouleau à pâtisserie ; et surtout elle ne met guère la femme à l'abri du viol conjugal qui, par maritale miséricorde, ne serait pas assorti de coups et blessures. Pour couronner le tout, les Libanais auront eu droit à une brillante démonstration de machisme gracieusement offerte par un président de l'Assemblée se refusant à légiférer sous la pression de la rue. Mais n'est-ce pas précisément la rue qui envoie ces messieurs à l'Étoile ?
Mensonges, de même, que les serments de bonne foi et de sincère coopération échangés entre les deux factions ennemies au moment de rallier le même gouvernement. À peine entré en activité, celui-ci a frisé l'implosion, dès lors qu'il s'est agi, lundi en Conseil des ministres, de pourvoir des postes de haute responsabilité, tant judiciaires que sécuritaires : cela en dépit de l'urgence que commande le démarrage du plan de pacification des régions chaudes du pays. À la conférence du dialogue national, c'est un coup de théâtre d'un tout autre genre qu'opérait, ce même lundi, le président Michel Sleiman, en faisant diffuser une bande sonore enregistrée lors de précédentes assises et montrant à quel point peut être illusoire la parole donnée.
Dans le Liban d'aujourd'hui, ce n'est plus la bonne vieille camaraderie entre politique et mensonge : c'est le second qui, désormais, tient lieu du premier.
Issa GORAIEB
S'il est question ici de mensonge, c'est parce qu'avec plus d'acuité que jamais nous en vivons aujourd'hui les effets...