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À La Une - Turquie

A Istanbul, l'urbanisation version Erdogan sous le feu des critiques

"Ici se joue la plus grande catastrophe écologique au monde".

 

 

Le chantier du troisième pont sur le Bosphore dans le cadre de la construction d'un nouvel aéroport à Istanbul. AFP / OZAN KOSE

Longtemps, Osman Erkov s'est pincé pour y croire. Mais l'arrivée de géomètres au milieu de ses champs a vite effacé son incrédulité. D'ici quatre ans, son village des rives de la mer Noire va disparaître sous les pistes du troisième aéroport d'Istanbul.

"Regardez comme c'est beau, ce paysage. Eh bien, tout ça va disparaître", se lamente cet agriculteur de Yeniköy, à la pointe nord de la mégapole aux 15 millions d'habitants. "Ici, tout le monde vit de l'élevage. Qu'est-ce qu'on va faire maintenant ?"

 

Depuis vingt ans que le Parti de la justice et du développement (AKP) a pris le contrôle de la mairie, Istanbul est saisie d'une intense frénésie de constructions, entre gratte-ciels, résidences immobilières et autoroutes.

Le futur aéroport, déjà vanté comme le "plus grand du monde", est un symbole de ces grands travaux d'aménagement conduits à marche forcée par le Premier ministre et ancien maire de la ville, Recep Tayyip Erdogan. Ses adversaires les dénoncent comme des projets "fous" qui, même s'ils nourrissent la croissance économique "chinoise" du pays, suscitent de plus en plus de critiques à la veille des élections municipales du 30 mars.

 

A commencer par celles des riverains, souvent priés de déménager sans discuter devant les rouleaux compresseurs de la municipalité.

"Jusqu'à présent, mes terres valaient 400 livres (130 euros) le mètre carré. Mais depuis que le projet est officiel, on me dit que ça ne vaut pas plus de 45-50 livres", peste Arif Akdemir, éleveur à Yeniköy. "Ils nous ont dit +prenez cet argent et refaites votre vie ailleurs+. Mais quelle vie pouvons-nous construire avec une somme pareille ?"

 

Les habitants du nord d'Istanbul ne sont pas les seuls à se plaindre. Les défenseurs de l'environnement, eux non plus, ne décolèrent pas. Avec le troisième pont sur le Bosphore et le réseau routier qui doit le desservir, le futur aéroport doit engloutir plus de 7.500 hectares d'arbres et de verdure. La saignée court déjà sur plusieurs kilomètres. "Vous avez ici la dernière zone forestière d'Istanbul et les sources d'eau qui alimentent la ville", dénonce Hakan Ganimgil, de l'Association de défense de la forêt du Nord. "Ici se joue la plus grande catastrophe écologique au monde".

 

"Folie des grandeurs"
Autre grand chantier, celui d'un tunnel routier entre les rives européenne et asiatique de la ville, dont les travaux viennent de débuter. Il viendra s'ajouter à un tunnel pour les trains et métros inauguré en octobre dernier.

 

Plus spectaculaire, le gouvernement veut aussi percer sur la partie européenne d'Istanbul un canal de 40 km, sorte de Bosphore bis, destiné à dérouter une partie du trafic maritime qui passe par le détroit, et bâtir autour deux villes nouvelles d'un million d'habitants chacune... Des projets souvent jugés "pharaoniques", en tout cas disproportionnés, même pour une mégapole aux dimensions de l'ancienne Constantinople.

 

"Le pouvoir justifie ces travaux par une croissance urbaine qui n'existe plus depuis la fin des années 1990", observe le chercheur Jean-François Pérouse, de l'Institut français d'études anatoliennes. "Ce modèle de développement ultralibéral révèle une folie des grandeurs difficilement justifiable à l'heure de la ville durable".

 

Alors que le pouvoir est la cible d'accusations de corruption, ses adversaires pointent aussi du doigt la motivation hautement spéculative de ces opérations. "Le point commun de ces travaux, c'est l'expropriation par l'Etat pour la privatisation de terrains publics destinés à des opérations immobilières juteuses", enrage Tuta Inal Cekiç, de la Chambre des urbanistes, "on sait bien à quel petit groupe tout ça profite".

"Ces projets vont permettre de créer de nouveaux emplois et donner confiance à notre peuple", riposte Cemal Demir, directeur d'un "think tank" proche de l'AKP. "Il faut faire attention à l'environnement, mais on ne peut pas rester les bras croisés", ajoute-t-il.

 

Les autorités turques ont fait de ses grands projets un combat très politique, en suggérant que les manifestations antigouvernementales de juin dernier comme les récentes enquêtes anti corruption sont nourries par des concurrents étrangers inquiets de la construction du futur aéroport géant d'Istanbul. "Ils veulent nous empêcher de construire une nouvelle Turquie", a répété M. Erdogan tout au long de sa campagne électorale.

Loin de ces considérations, les habitants de Yeniköy s'apprêtent, eux, à faire entendre leur mécontentement dans les urnes. "Normalement, on vote pour l'AKP", confie Arif Akdemir, "mais cette fois, je pense que ça va changer".

 

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