Et de dix... La commission ad hoc chargée de plancher sur le texte de la déclaration ministérielle tiendra cet après-midi, au Grand Sérail, sa dixième réunion sous la présidence du Premier ministre Tammam Salam. Comme ce fut le cas les fois précédentes, depuis la formation du cabinet Salam, le débat portera essentiellement sur le cas litigieux de la « résistance » (entendre l'appareil militaire du Hezbollah), notamment en ce qui concerne son rôle et ses rapports avec l'État central.
Jusqu'à hier soir, aucune percée significative n'était perceptible dans les efforts visant à surmonter, ou du moins à contourner, l'obstacle majeur qui entrave la finalisation de la déclaration ministérielle. Le 14 Mars insiste pour que le document comporte une clause stipulant clairement que la « résistance » est soumise à l'autorité de l'État. Le but recherché à cet égard par le 14 Mars est de mettre un terme à la dualité déstabilisatrice entre le pouvoir central et le mini-État du Hezbollah. Le parti chiite, pour sa part, s'accroche à l'autonomie de son appareil militaire tout en s'obstinant à obtenir une mention spéciale sur son « droit à la résistance ». Pour la formation pro-iranienne, l'enjeu est de taille et revêt un caractère stratégique : il s'agit pour elle de donner un nouveau souffle à ce qu'elle considère comme sa « légitimité », sérieusement ébranlée par l'implication de ses combattants dans la guerre syrienne aux côtés des forces de Bachar el-Assad ; et si le Hezbollah insiste de la sorte pour que ce cabinet Salam reconnaisse son droit à la « résistance », sans aucune soumission à l'autorité centrale de l'État, c'est pour obtenir que sa « légitimité », en tant que milice autonome, soit renouvelée explicitement par le 14 Mars.
Il s'agit donc d'une question de principe, et le différend sur ce plan entre le 14 Mars et le Hezbollah porte ainsi non pas sur des considérations de petite politique politicienne, mais sur un problème de fond. La commission ad hoc présidée par M. Salam tentera aujourd'hui, une fois de plus, d'aboutir à une formule sémantique magique qui permettrait de noyer le poisson dans l'eau et de satisfaire, autant que faire se peut, les deux camps en présence. Le président de la Chambre, Nabih Berry, et le leader du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, se seraient employés au cours des dernières quarante-huit heures à concocter une telle formule hybride, et bâtarde, « à la libanaise ».
Le 14 Mars et la formulation de Gebran Bassil
Selon certaines informations, une suggestion a émergé à ce propos durant le week-end écoulé : considérer les termes du discours prononcé par le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, lors de la conférence ministérielle arabe qui vient de se tenir au Caire, comme une plate-forme valable, ou un compromis acceptable, pour la déclaration ministérielle. M. Bassil, rappelle-t-on, avait évoqué dans son discours devant ses pairs arabes « le droit du Liban et des Libanais à libérer ou récupérer les fermes de Chebaa et les collines de Kfarchouba, et à mener une résistance contre toute agression ou occupation israélienne, par tous les moyens légitimes disponibles ». Force est de relever dans ce cadre que si le 14 Mars donne son aval à une telle formulation, il aurait alors pratiquement capitulé face au Hezbollah. Parler du droit « des Libanais » à mener une résistance « par tous les moyens légitimes disponibles » sans aucune mention du rôle de l'État comme autorité de référence reviendrait en effet à donner totalement satisfaction au Hezbollah, lequel aurait réussi ainsi à pousser le 14 Mars à s'aligner sur sa stratégie fondée sur l'autonomie de la « résistance ».
La question est donc de savoir si les représentants du 14 Mars au sein du gouvernement pourraient tomber dans le piège de la formulation de Gebran Bassil. Tard en soirée, on apprenait qu'un tel cas de figure paraît écarté. Les ministres du 14 Mars ont, de fait, tenu en fin de journée une réunion au cours de laquelle ils ont réaffirmé leur position de principe, à savoir leur rejet de toute mention du rôle de la « résistance » sans une référence explicite à l'État comme autorité de référence à laquelle devrait se soumettre l'appareil militaire du Hezbollah.
Le dernier point des tractations sur ce plan a été au centre de l'entretien que le député Kazem Kheir (bloc du Futur) a eu hier avec M. Salam. À sa sortie du Grand Sérail, le député haririen a résumé la situation en quelques mots : « La différence entre nous (le 14 Mars) et le 8 Mars réside dans la reconnaissance de l'État comme autorité de référence. Tous les Libanais sont unis face à l'ennemi israélien, mais dans le cadre de l'autorité de l'État comme référence ». M. Kheir a en outre indiqué que M. Salam lui avait précisé que la séance de travail de la commission ad hoc, aujourd'hui, sera « décisive », et cette réunion sera la dernière. Si les membres de la commission ne parviennent pas à s'entendre ce soir sur une « formule magique », le différend et le dossier de la déclaration ministérielle seront alors transmis au Conseil des ministres afin qu'il tranche. Le Hezbollah serait toutefois opposé à une telle option : il craint en effet d'être mis en minorité si la clause relative à la « résistance » est soumise au vote.
Un nouveau sujet de litige : le délai
Mais parallèlement à ce problème de fond, un nouveau sujet de litige risque de poindre à l'horizon dans les tous prochains jours. Conformément aux termes de la Constitution, le cabinet a en effet un délai d'un mois pour élaborer sa déclaration ministérielle. Or ce délai expire cette semaine. La question qui pourrait se poser est de savoir si l'expiration de ce délai sans que la déclaration ministérielle n'ait été finalisée signifie que le gouvernement n'est plus habilité à exercer ses fonctions. Les pôles du 14 Mars soulignent à ce sujet que ce délai fixé par la Constitution n'est pas contraignant, mais revêt simplement une fonction de « motivation » et de « stimulation » visant à accélérer l'élaboration de la déclaration ministérielle. Ce point de vue est toutefois contesté par le 8 Mars qui estime que si le délai d'un mois expire sans que la politique du cabinet ait été définie, le gouvernement devrait être considéré comme de facto démissionnaire.
Compte tenu de la ferme position de principe réaffirmée hier soir par les ministres du 14 Mars, il est fort à parier que la scène politique interne pourrait être prochainement le théâtre d'un débat d'un genre nouveau portant sur le statut d'un gouvernement qui n'aurait pas réussi à élaborer sa déclaration ministérielle. Dans le contexte présent, ce point de litige revêt d'autant plus d'importance que le pays se trouve à deux mois de l'expiration du mandat présidentiel, le 25 mai prochain. Si le Parlement ne parvient pas alors à élire un nouveau président de la République, la question qui se posera est de savoir si un gouvernement au statut nébuleux pourra exercer les prérogatives du chef de l'État, comme le prévoit la Constitution. Si un tel stade est franchi, c'est le spectre d'un vide institutionnel qui risque sérieusement de planer sur la scène locale. Pour beaucoup, c'est peut-être l'objectif que rechercherait en définitive le Hezbollah...
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commentaires (9)
C est devenu un vrai cancer avec des métastases résistantes ce hezbollah....pauvre malade qu est le Liban!
CBG
13 h 48, le 12 mars 2014