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Économie

Une nouvelle économie politique progressiste

Dans un article des Foreign Affairs intitulé « The Future of History », Francis Fukuyama a fait remarquer que malgré la colère généralisée déclenchée par le renflouement de Wall Street, ce phénomène n'a pas provoqué un grand élan de soutien des partis politiques de gauche. Fukuyama a attribué cela, à juste titre selon moi, à une panne d'idées.
La crise financière de 2008 a pointé d'importantes lacunes dans la thèse du capitalisme néolibéral, et une analyse objective de ces 35 dernières années montre que le modèle néolibéral n'a pas obtenu de bons résultats par rapport aux 30 années précédentes en termes de croissance économique, de stabilité financière et de justice sociale. Mais aucune solution de rechange progressiste pertinente n'a encore pris forme.
Quelles devraient être les grandes lignes d'une telle solution ? Tout d'abord, une économie politique progressiste doit se fonder sur une croyance ferme dans le capitalisme, c'est-à-dire sur un système économique dans lequel la plupart des actifs sont des propriétés privées et où les marchés guident largement la production et la distribution des revenus.
Mais il faut aussi y intégrer trois croyances progressistes décisives : d'abord le rôle crucial des institutions. Ensuite la nécessité de la participation de l'État dans leur conception afin de résoudre les conflits d'intérêts et de fournir des services publics. Enfin, la justice sociale, définie en tant qu'équité, comme mesure importante de la performance économique d'un pays.
Ce fut la grande erreur des économistes néoclassiques de ne pas voir que le capitalisme est un système socioéconomique et que les institutions en sont une partie essentielle. La récente crise financière a été bien plus grave par ses profondes défaillances institutionnelles, comme le fort niveau d'endettement autorisé pour les banques.
Des recherches empiriques ont montré que quatre types d'institutions ont un impact majeur sur la performance des entreprises, et par conséquent sur la croissance économique d'un pays. Il s'agit notamment des institutions qui sous-tendent ses marchés financiers et la main-d'œuvre, ses dispositions en matière de gouvernance d'entreprise, son système d'éducation et de formation, et son système national d'innovation (le réseau des institutions publiques et privées qui initient et diffusent les nouvelles technologies).
La deuxième croyance décisive de la pensée progressiste est que les institutions n'évoluent pas spontanément, comme le croient les néolibéraux. L'État doit être impliqué dans la conception et dans la réforme. Dans le cas des institutions qui sous-tendent la main-d'œuvre et les marchés financiers, ainsi que la gouvernance d'entreprise, l'État doit arbitrer les conflits d'intérêts. De même, l'éducation d'un pays, son système de formation et son système national d'innovation sont en grande partie des services publics, qui doivent être fournis par l'État.
Il me semble assez évident que le rôle de l'État que je viens de décrire donne l'initiative au marché ou est favorable au marché. Ce n'est pas le rôle de commandement et de contrôle promu par les socialistes traditionnels, ni le rôle minimaliste que les néolibéraux vénèrent.
La troisième croyance décisive de la pensée progressiste rejette l'idée néolibérale d'après laquelle la performance économique d'un pays doit être évaluée uniquement en termes de croissance du PIB et de liberté. Si l'on s'intéresse au bien-être d'une société, il n'est pas possible d'affirmer que dans un pays riche la tranche supérieure de 1 % des personnes les plus fortunées est plus performante qu'un pays un peu moins riche où la prospérité est plus largement partagée.
En outre, l'équité est une meilleure mesure de justice sociale que l'égalité. Car il est difficile d'élaborer des mesures concrètes et efficaces pour parvenir à l'égalité dans une économie de marché. En outre, il existe un réel compromis entre l'égalité et la croissance économique, et l'égalitarisme n'est pas une mesure populaire, même pour de nombreuses personnes à faibles revenus. D'après mon expérience, les syndicats sont beaucoup plus intéressés par les écarts de salaires que par une simple politique de rémunération égale pour tous.
Voilà quels principes fondamentaux une nouvelle économie politique progressiste doit viser. Je crois aussi que les pays occidentaux qui n'adoptent pas ce cadre et qui choisissent plutôt de se cramponner à une économie politique néolibérale auront de plus en plus de mal à innover et à maintenir leur croissance.
Dans la nouvelle économie mondiale qui croule sous la main-d'œuvre bon marché, les économies occidentales ne seront pas en mesure de rivaliser dans une « course à la sous-enchère » avec des entreprises à la recherche de main-d'œuvre, de terrains et de capitaux toujours moins chers, et des gouvernements qui cherchent à les attirer par la déréglementation et la diminution des prestations sociales.
La seule façon pour les économies occidentales de rivaliser et d'améliorer leur niveau de vie est de se considérer comme impliquées dans une course à la surenchère. Cela dit, les entreprises doivent augmenter leur valeur ajoutée grâce à l'innovation dans les industries existantes et en développant leur capacité à résister à la concurrence dans les industries nouvelles et plus sophistiquées, où la valeur ajoutée est en général plus forte.
Les entreprises ne pourront y parvenir que si les gouvernements abandonnent la croyance selon laquelle ils n'ont aucun rôle à jouer dans l'économie. En fait, l'État a un rôle crucial à jouer en fournissant les conditions qui permettent aux entreprises dynamiques d'innover et de se développer.

© Project Syndicate/Institute for Human Sciences, 2014.

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