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À La Une - L'Orient Littéraire

La littérature comme arme de combat

Inspiré de faits réels, le dernier roman de Ian McEwan se déroule dans le Londres du début des années 70, soit dans le contexte de la guerre froide.

Inspiré de faits réels, et peut-être même en partie autobiographiques, (« une autobiographie voilée et transformée » comme l'auteur le suggère dans The Guardian), le dernier roman de Ian McEwan se déroule dans le Londres du début des années 70, soit dans le contexte de la guerre froide, mais également de la dépression économique qui frappe l'Angleterre de ces années-là. Il raconte comment une ravissante jeune femme qui travaille pour le M15 (les services secrets britanniques, en charge de la sécurité intérieure du pays) tente de manipuler un écrivain, encore débutant mais prometteur, à des fins politiques.

Serena Frome est la fille d'un évêque anglican (qu'elle ne nomme jamais « papa » mais « l'Évêque ») et elle a grandi à l'ombre d'une cathédrale dans une petite ville de l'est de l'Angleterre. Mais fort heureusement, « la foi de notre père, discrète et raisonnable, n'envahissait pas notre existence et lui avait néanmoins permis de s'élever sans heurts au sein de la hiérarchie ecclésiastique ».

Quant à la mère, caricature de l'épouse de pasteur, elle a « une mémoire phénoménale des noms, visages et tourments des paroissiens » et « une façon bien à elle de descendre une rue en majesté avec son foulard Hermès ». Les Frome mènent donc une existence confortable, et comme Serena est douée en maths, sa mère la pousse à entreprendre une licence dans la prestigieuse université de Cambridge. Pourtant, c'est à la littérature que s'intéresse surtout cette lectrice compulsive, même si elle préfère des « documentaires accessibles sur la société » aux ouvrages des écrivains modernes tels que Cortazar, Borgès, Pynchon ou Gaddis, qui ne cessent de brouiller la frontière entre la vie et la fiction. Son diplôme en poche, et malgré ses résultats moyens, elle est recrutée par le M15 dans le cadre de l'opération Sweet Tooth, pour des raisons que le lecteur va progressivement découvrir et qui ont beaucoup à voir avec sa liaison de quelques mois avec un ténébreux professeur d'histoire de Cambridge, nettement plus âgé qu'elle, Tony Canning.

Il faut rappeler que durant la guerre froide, la CIA travaillait à détourner les intellectuels de la gauche européenne de la perspective marxiste et à donner une légitimité aux prises de position en faveur du monde libre. Lui emboîtant le pas, le M15 et le Foreign Office tentent d'enrôler certains écrivains britanniques dans la propagande anti-communiste. Serena va donc avoir pour mission de « recruter » Tom Haley, mais faisant preuve d'une totale absence de professionnalisme, elle va aussi tomber amoureuse de lui, bousculant l'ordre attendu des événements et précipitant un dénouement peu honorable pour elle.

Opération Sweet Tooth est, à certains égards, construit comme un roman d'espionnage, mais il autorise aussi plusieurs autres niveaux de lecture : observation fine des comportements et des classes sociales dans une Angleterre corsetée où les accents, les vêtements et la gestuelle signent une origine aussi sûrement qu'une carte d'identité ; document passionnant sur les liens entre la littérature, les intellectuels et le pouvoir dans les années 70 ; roman d'amour avec, enchâssées au sein du récit principal à la manière des Mille et une Nuits, d'autres histoires qui sont celles écrites par Tom Haley et que Serena lit et analyse ; réflexion sur l'écriture, le processus créatif et les liens entre la réalité et la fiction... Ian McEwan navigue entre toutes ces dimensions avec aisance et brio, et avec une touche d'humour parfaitement britannique, il tient le lecteur en haleine jusqu'à la pirouette finale, pirouette qui éclaire d'un jour nouveau le choix d'une narration à la première personne par la voix de Serena.

Évidemment, mettant en scène cet univers de faux semblants où le secret est la règle et le mensonge à double tranchant, l'auteur suggère sans doute que l'écrivain est lui aussi un maître de la manipulation, un virtuose de l'illusion. Mais on peut aussi méditer sur cette citation de Soljenitsyne reprise par l'auteur : « Malheur à la nation dont la littérature est bousculée par les interventions du pouvoir. »

 

Retrouvez l’intégralité de L'Orient Littéraire ici.

Inspiré de faits réels, et peut-être même en partie autobiographiques, (« une autobiographie voilée et transformée » comme l'auteur le suggère dans The Guardian), le dernier roman de Ian McEwan se déroule dans le Londres du début des années 70, soit dans le contexte de la guerre froide, mais également de la dépression économique qui frappe l'Angleterre de ces années-là. Il...

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