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Campus - Libre cours

Refuser l’impunité et la banalisation de la mort

Plus de 4 290 internautes libanais ont intégré le groupe « Je ne suis pas un martyr » créé sur Facebook suite à l’explosion de Starco.

Cet article a été écrit avant la survenue de l'explosion dans la banlieue sud de Beyrouth.

 

« Peut-on fêter le Nouvel An comme si de rien n'était? N'a-t-on pas un devoir de respect et de mémoire envers les victimes de la dernière explosion à Beyrouth, dont le sang n'a pas encore séché ? », « On ne peut et on ne doit pas continuer comme si de rien n'était », « Comment poursuivre le cours normal de nos vies quand les gens se font tuer en plein jour soit parce qu'ils ont une opinion politique contraire à celle des criminels, ou tout simplement parce qu'ils ont eu le malheur de se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment ? » Voici un échantillon de l'état d'esprit de nombreux jeunes Libanais après l'attentat qui a coûté la vie à huit personnes dont l'ancien ministre Mohammad Chatah et qui a blessé des dizaines de citoyens. Une réaction concrétisée par la création rapide de plusieurs groupes sur Facebook refusant la violence et la banalisation de la mort, et appelant les internautes libanais à exprimer haut et fort leur colère face à l'insécurité qui sévit au pays du Cèdre.

Une semaine après le lâche attentat de Starco, la question que l'on se pose est la suivante : est-ce qu'il y a une chance que ce refus de la violence, de la deshumanisation des victimes et du fatalisme se transforme en une secousse assez forte pour avoir un impact quelconque sur la situation au Liban ? Ou bien, comme d'habitude, la vie prendra le dessus, les visages des victimes tomberont rapidement dans l'oubli et les noms des martyrs s'estomperont graduellement de la mémoire collective... jusqu'à la prochaine explosion ? La réponse est probablement négative. La page étant déjà tournée pour de nombreux Libanais.

« Après un assassinat, après une explosion, les mêmes slogans fusent, les mêmes promesses aussi "On ne t'oubliera jamais". Mais finalement, tout le monde oublie. Jusqu'au prochain martyr », observe Racha el-Halabi, jeune étudiante en conception graphique et communication visuelle à l'UL, avant d'ajouter : « Treize martyrs... En 2005, on s'est demandé : à qui la faute ? Maintenant, on se demande : c'est le tour de qui ? Apparemment, la violence est devenue le seul langage utilisé. J'ai peur de ce nouveau Liban. »

La valeur de la vie humaine
« Quand on assassine un homme comme le ministre Chatah, représentant le Libanais ouvert, le Libanais modèle qui a réussi ; et quand on provoque la mort de toutes ces victimes dont ce pauvre jeune Mohammad Chaar, des hommes qui ne sont pas des politiciens mais qui ont eu la malchance d'être sur les lieux de l'explosion, on ne peut qu'être triste et révolté », s'indigne Anthony Féghali, jeune avocat en devenir, très affecté par l'explosion. « J'avais vu le ministre Chatah, il y a quelques semaines, lors de la journée piétonne qu'avait organisée l'association Achrafieh 2020. Il se promenait bras dessus, bras dessous avec sa femme à Gemmayzé, souriant, en tenue décontractée et casquette. Depuis la survenue de l'explosion, je ne fais que penser à cette image de couple joyeux heureux de passer un beau dimanche dans la capitale », poursuit-il.

Au-delà des affinités ou des divergences politiques, le peuple tout entier, et notamment les jeunes, doivent refuser catégoriquement le recours à la violence pour marquer des points politiques. Le peuple doit lutter contre l'impunité en vigueur au Liban.

Racha el-Halabi, qui confie que ce révoltant crime a ramené dans sa mémoire des images de l'assassinat du Premier ministre Rafic Hariri, poursuit : « J'ai rencontré l'ancien ministre Chatah la semaine passée lors de la conférence de coexistence organisée à Tripoli. Nous avons eu l'occasion de nous parler. Le Liban a vraiment perdu une figure de la modération qui croyait au dialogue, au langage de la raison et de la logique, et au droit à la différence des opinions. »

Outre la colère et l'indignation, les jeunes éprouvent un sentiment constant de peur. Elham el-Hajj, étudiante en presse à l'UL, se trouvait aux Souks de Beyrouth au moment de l'explosion, qu'elle qualifie d' « habituelle chez nous, au Liban ». Ordinaire donc mais « horrifiante », selon la jeune fille qui poursuit : « Je ne me rappelle plus comment l'amie qui m'accompagnait et moi-même sommes rentrées à la maison. » Elham confie qu'elle est triste et qu'elle a peur, « car peut-être qu'un jour, je serais moi-même, comme Mohammad Chaar, une innocente victime d'une explosion. »

Samer Sarkis est lui aussi étudiant en journalisme à l'UL. Réaliste mais non blasé, le jeune homme fulmine : « On vit dans une jungle. C'est dramatique et ironique en même temps. Chaque jour, il y a une explosion. Si ce n'est pas une explosion au vrai sens du terme, c'est une crise économique ou sociale. Nous vivons dans un pays où chacun semble attendre son tour d'être tué. On en a marre ! Mais malgré tout, nous sommes un peuple qui veut vivre. »

Vivre justement. Les jeunes sont unanimes sur ce point. Il faut résister au découragement. « Je ne suis pas de ceux qui baissent les bras. Je veux rester au Liban pour le moment. Je me dis qu'en tant que jeunes, on doit essayer de faire ce que l'on peut pour un avenir meilleur au Liban et espérer que la situation ne va pas empirer », estime Anthony Féghali avant de conclure : « On verra ce qu'on pourra apporter à ce pays et on verra bien ce que l'avenir nous réserve. »


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