Le régime syrien a démenti vendredi toute implication dans l'attentat perpétré dans le centre-ville de Beyrouth qui a coûté la vie à l'ancien ministre des Finances Mohammad Chatah, rejetant dans la foulée les accusations lancées par la Coalition du 14 Mars.
M. Chatah se dirigeait vers la "Maison du centre" , résidence de Saad Hariri où devait se tenir à 09h30 (07h30 GMT) une réunion de la coalition du 14 Mars, hostile au régime de Bachar el-Assad et appuyant l'opposition syrienne, quand une voiture piégée a explosé ce matin.
"Ces accusations arbitraires et sans discernement émanent de haines politiques", a affirmé le ministre syrien de l'Information Omrane al-Zohbi, cité par l'agence officielle Sana. "Certaines personnalités au Liban n'ont jamais cessé d'accuser le pouvoir à Damas à chaque fois qu'un assassinat douloureux se produit dans le pays frère qu'est le Liban", a poursuivi le ministre.
Il réagissait au communiqué virulent des forces du 14 Mars qui ont condamné l'attaque qui a fait 6 morts et plus de 70 blessés. "La liste des martyrs risque encore de s'allonger parce que l'assassin n'a pas fini de faucher les héros libanais et les héros du 14 Mars", indique le communiqué lu par l'ancien Premier ministre Fouad Siniora. "L'assassin est le même, celui qui est assoiffé de sang syrien comme du sang libanais (...) de Beyrouth, à Tripoli (...) à l'ensemble du Liban, le meurtrier est le même, lui est ses alliés libanais, de Deraa, à Alep, à Damas et à toute la Syrie", a affirmé M. Siniora, soulignant que l'attentat intervient à quelques jours du début du procès, à La Haye , le 16 janvier 2014, des responsables présumés (5 accusés ,tous membres du Hezbollah) de l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri.
Même son de cloche de la part de l'ancien Premier ministre Saad Hariri qui, de son exil forcé à l'étranger, a condamné l'assassinat de son conseiller politique. M. Chatah est "une grande branche qui tombe de l'arbre de (l'ancien Premier ministre) Rafic Hariri", a-t-il estimé. "Ceux qui ont assassiné Mohammad Chatah et Rafic Hariri sont les mêmes. Ce sont ceux qui fuient le tribunal international (chargé de juger les assassins de Rafic Hariri, ndlr), qui veulent assassiner le Liban, humilier l'Etat et qui entraînent le pays vers le brasier régional", a accusé Saad Hariri dans un communiqué, en allusion au Hezbollah.
Le Hezbollah est engagé dans les combats en Syrie aux côtés des troupes de Bachar el-Assad. Cinq membres du parti chiite sont, en outre, visés par des mandats d'arrêts émis par le Tribunal Spécial pour le Liban (TSL). Le Hezbollah nie toute implication dans l'attentat contre Rafic Hariri. Les cinq suspects sont en fuite et le Hezbollah refuse toute coopération avec le TSL, qu'il juge politisé.
Réagissant à l'attentat de vendredi, le Hezbollah a qualifié l'assassinat de Mohammad Chatah de "crime odieux" visant à semer le chaos au Liban et à saper l'union nationale. "C'est un crime dont seuls les ennemis du Liban bénéficient", affirme le parti chiite dans un communiqué. Le Hezbollah a en outre appelé les Libanais à "la sagesse face aux dangers qui guettent leur pays" et les services de sécurité à déployer tous les efforts nécessaires pour démasquer les coupables.
Plusieurs personnalités libanaises ont condamné l'attaque, appelant à l'unité nationale et mettant en garde contre l'aggravation de la crise politique au Liban.
Le président Michel Sleiman, a qualifié l'attentat dans le centre de Beyrouth d'"acte lâche". "Quel que soit le message derrière cet attentat, il n'affaiblira pas la détermination des Libanais à protéger leur pays", a dit le chef de l'Etat qui a mis l'accent sur la nécessité, plus que jamais, de former un nouveau gouvernement dans les plus brefs délais.
L'attentat perpétré vendredi matin à Beyrouth a visé une personnalité politique et académique modérée qui a toujours cru au dialogue, au langage de la raison et au droit de chacun à la différence, a souligné le Premier ministre démissionnaire Nagib Mikati. Il a en outre condamné les actes de violence et les assassinats qui n'aboutiront qu'à plus de tragédies et de chaos au Liban.
Le ministre sortant de l'Intérieur, Marwan Charbel, qui s'est rendu sur les lieux de l'attentat qui a fait 6 morts et plus de 70 blessés, a, une nouvelle fois, souligné la nécessité d'engager un dialogue interne afin de sortir le pays du cycle de violence. M. Charbel a dit espérer que le Liban ne soit plus visé par des attentats.
Le ministre sortant de la Santé, Hassan Khalil, a qualifié l'attaque "d'acte terroriste visant à déstabiliser le Liban". Il a également appelé à la formation rapide d'un nouveau gouvernement d'union nationale "capable d'affronter la crise actuelle et la vague de terrorisme qui menace l'unité du pays".
Le ministre du Travail, Salim Jreissati, a mis en garde contre le déclenchement d'un conflit au Liban, affirmant que l'attentat visait "une des rares voix modérées dans le pays".
Le ministre des Finances, Mohammad Safadi, originaire comme M. Chatah de Tripoli, a appelé à faire face aux "démons de la discorde" qui fait du Liban un pays entièrement à découvert sur le plan de la sécurité . Le ministre sortant a exhorté les responsables politiques à prendre des décisions radicales pour sauvegarder la paix civile, à commencer par la formation d'un gouvernement et l'élection d'un nouveau président à la date prévue par la Constitution.
Le chef du Parti socialiste progressiste (PSP), Walid Joumblatt, a dénoncé "un message négatif adressé à tous les modérés auquel il faut répondre par davantage de modération". "Ce feuilleton criminel qui s'est déplacé entre la banlieue sud de Beyrouth, Tripoli et l'ambassade d'Iran et a visé aujourd'hui M. Chatah prouve que le terrorisme est aveugle", a ajouté le chef du PSP appelant à y faire face par le calme et la sagesse.
Pour sa part, le chef du parti Kataëb et ancien président Amine Gemayel, a estimé que l'attentat "va accroître la tension" au Liban, appelant les Libanais à reprendre le dialogue national. "Le terrorisme n'épargne plus personne, a dit M. Gemayel. Il y a eu des attaques contre la banlieue sud de Beyrouth et l'ambassade iranienne, et avant cela des explosions dans la ville de Tripoli. Aujourd'hui, c'est l'ancien ministre Mohammad Chatah qui a été visé. Il faut s'unir et resserrer les rangs, a-t-il poursuivi. Tous les Libanais doivent être solidaires face au terrorisme".
"Dénoncer et condamner à chaque fois qu'un acte criminel entraîne la mort de personnalités politiques ou de citoyens innocents ne suffit plus, a déclaré le chef du Courant patriotique libre (CPL), Michel Aoun dans un communiqué. Outre la formation d'un gouvernement, qu'il soit neutre ou politique, nous avons besoin de responsables conscients de leurs responsabilités et capables de prendre des décisions sans compliquer la situation pour des raisons inconnues." M. Aoun a, en outre, mis en garde contre les accusations politiques et arbitraires qui ne font que jeter de l'huile sur le feu : "Si le feu s'embrase, personne ne sera épargné."
De son côté, le député membre du CPL, Alain Aoun, a affirmé que le Liban "est devenu une boîte aux lettres entre les parties rivales dans la région". "Le pays restera exposé à tous les dangers tant que les Libanais sont divisés", a-t-il dit à la chaîne de télévision LBC.
"Ils ont tué un homme qui représente la modération, un homme de principe", a déclaré pour sa part le chef des Forces libanaises, Samir Geagea. "Nous ne plierons pas face aux menaces d'élimination physique", a-t-il ajouté.
A Bkerké, le patriarche maronite Mgr Béchara Raï a estimé que par ce crime terroriste, le Liban a perdu une figure de la modération et de la sagesse. Le patriarche a dénoncé les crimes, la violence et le terrorisme qui visent les personnalités politiques et les citoyens innocents, appelant à prier, en cette saison de fêtes de fin d'année, pour la paix et la stabilité au Liban.
(Repères : Le Liban dans l'engrenage du conflit syrien)
Dans des déclarations diffusées sur la chaîne du Hezbollah al-Manar, l'ambassadeur de Syrie au Liban, Ali Abdelkarim Ali, a accusé "l'ennemi israélien" d'être derrière l'attentat qui a coûté la vie au conseiller des anciens Premiers ministres Fouad Siniora et Saad Hariri. Il a également pointé du doigt l'Arabie saoudite en affirmant que "les pays qui soutiennent le terrorisme en Syrie cherchent à déstabiliser la région". "Ceux qui ont misé sur la chute du régime syrien sont désespérés, a-t-il dit. Il faut s'unir pour mettre fin aux attentats".
Alors que le Hezbollah est engagé aux côtés de l'armée de Bachar el-Assad, l'Arabie saoudite soutient la rébellion syrienne. Son ambassadeur au Liban, Ali Awad Asiri, a condamné en l'assassinat de Mohammad Chatah "un acte terroriste qui vise la modération et la stabilité du Liban".
Dans un dernier tweet diffusé peu avant l'explosion, M. Chatah avait accusé le Hezbollah de vouloir contrôler le Liban comme l'avait fait le régime syrien durant 15 ans, avant le retrait de ses troupes du territoire libanais en 2005. "Le Hezbollah essaie d'imposer la logique qu'avait imposée le régime syrien pendant 15 ans : (obliger) l'Etat à abandonner à son profit son rôle ainsi que sa souveraineté sur les questions sécuritaires et de politique étrangère".
Beyrouth a déjà été frappé par plusieurs attentats depuis l'été qui visaient pour la plupart des bastions du mouvement chiite Hezbollah, dont les hommes combattent les rebelles syriens aux côtés de l'armée du président Bachar el-Assad.
Le pays avait déjà été la cible, de 2005 à 2012, d'une série d'attentats et d'assassinats visant des hommes politiques et des journalistes hostiles au régime syrien, ainsi que des responsables de l'armée et de la police considérés comme proches de ce camp.
En octobre 2012, un attentat avait notamment visé le chef des renseignements des Forces de sécurité intérieure (FSI), le général Wissam al-Hassan, un musulman sunnite proche de Saad Hariri.
L'attentat le plus spectaculaire avait été celui qui avait visé en plein Beyrouth le 14 février 2005 l'ex-Premier ministre Rafic Hariri, père de Saad. Vingt-deux autres personnes avaient péri dans cette attaque suicide.
Le procès des responsables présumés de cet assassinat doit débuter le 16 janvier 2014.
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L'unité nationale est en effet en danger et l'aggravation de la crise politique au Liban pourra amener le pays à une nouvelle guerre civile .
18 h 54, le 27 décembre 2013