Maya, la quarantaine, propriétaire depuis 10 ans d'un magasin d'habillement pour enfants dans l'artère commerçante de Mar Élias, passe ses journées à limer, peindre et décorer ses faux ongles qu'elle change tous les jours. « Les années précédentes, pendant les périodes de fêtes, je devais embaucher quatre ou cinq vendeuses supplémentaires pour pouvoir répondre à la demande des clients et je faisais plus de 70 % de mon chiffre d'affaires en quelques jours », se souvient-elle avec un sourire aigri. Aujourd'hui, une petite dizaine de clients poussent quotidiennement la porte de son magasin, « mais à peine un seul se décide à acheter ». Pour Maya, la décision est prise, elle fermera définitivement son magasin fin février « car je travaille à perte depuis bientôt trois ans ».
Dans le magasin d'à côté, Toufic et sa femme, vendeurs depuis 40 ans dans un magasin de chaussures, travaillent dans l'obscurité. Depuis quelques mois, ils ont décidé d'arrêter l'abonnement au générateur du quartier, qu'ils ne pouvaient plus payer. Il est bientôt midi et aucun client ne s'est encore arrêté devant leur vitrine, qui affiche pourtant des réductions de 70 %. « Je brade mes prix, parfois je vends même à perte pour encourager le client, et à la fin de la journée, la seule chose que j'accumule en retour c'est de la frustration », se désole le commerçant. Selon lui, les affaires ont commencé à aller mal il y a trois ans, « mais aujourd'hui la situation a atteint des niveaux catastrophiques, où même pendant la période des fêtes, je ne vends rien plusieurs jours de suite ». Toufic a quand même décoré son magasin avec des guirlandes et un arbre de Noël, « mais pour moi en tout cas, le père Noël ne passera pas cette année ! »
Wafa', vendeuse depuis trois ans pour un bijoutier, est moins pessimiste, même si elle avoue en riant que les ventes en cette fin d'année sont aussi faibles que les températures engendrées par la tempête Alexa. « Comme la majorité de nos produits sont en argent, on ne peut pas, contrairement à d'autres commerçants, proposer de réductions aux clients pour booster nos ventes car le grammage de l'argent est fixé internationalement », explique la jeune femme. « Par contre, comme le magasin existe depuis 30 ans, les gens connaissent nos produits et nous font confiance et un bijou est le cadeau idéal pour la période des fêtes », poursuit Wafa'. Elle reste optimiste quant aux ventes dans les prochains jours « car les gens ont l'habitude de prendre leurs cadeaux au dernier moment ».
Sawsan, qui tient un magasin d'optique, ne peut pas en dire autant. « Les gens n'achètent pas forcément des lunettes de vue pour les fêtes, et encore moins des lunettes de soleil en plein hiver. » Elle avait affiché sur la vitrine de son établissement l'offre de deux lunettes de soleil pour le prix d'une, « mais je l'ai retirée la semaine dernière car elle n'attirait pas plus de clients ». « Les yeux des passants se sont habitués aux soldes affichés toute l'année sur les vitrines des magasins et qui ne font plus aucun effet », opine l'opticienne. Pour le seul mois d'octobre, ses ventes ont chuté de moitié par rapport à l'année dernière.
Elle attribue cette situation principalement au boycott des pays du Golfe, « une catastrophe ressentie très durement par tous les commerçants », mais aussi « à la situation politique et sécuritaire qui déprime les ménages ». Selon elle, « la morosité ambiante et la chute des ventes ne sont pas seulement liées à une situation financière difficile, les gens ont besoin d'espoir et c'est justement la ressource qu'ils n'ont plus du tout dans ce pays ».
Alors des initiatives pour encourager la consommation, Sawsan les encourage fortement, comme la « carte d'achat des commerçants de Beyrouth », élaborée par l'Association des commerçants de Beyrouth (ACB) et la BLOM Bank. Celle-ci permet aux clients de bénéficier de réductions intéressantes auprès d'un large réseau de commerçants, qui, eux, de leur côté, recevront une commission sur chaque achat d'un client qu'ils auront identifié auprès de la banque.
Malheureusement, beaucoup de commerçants n'ont pas pu attendre les possibles retombées positives de cette carte ou de la période des fêtes, ils ont fermé boutique et leurs magasins sont à vendre ou à louer. « Il y a quelques années, la demande de location pour un magasin sur la rue de Mar Élias était plus élevée que l'offre, mais aujourd'hui, une trentaine de locaux sont déjà vides et leur nombre ne cessera de croître, à moins... d'un miracle », soupire Toufic, le vendeur de chaussures.
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