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À La Une - L'Orient Littéraire

Rébellions arabes et perceptions brouillées

« La question est de savoir si l'islam politique, tel que nous le connaissons, peut vivre dans un modèle de démocratie, inclusif et tolérant. »

D.R

Diverses expressions ont été utilisées pour décrire la vague de mouvements appelant au changement dans le monde arabe. De nombreux Occidentaux ainsi qu'un grand nombre d'Arabes, accueillant à bras ouverts et même célébrant la fin de ce qu'ils appelaient « la fin de l'exception arabe », utilisèrent les termes de « Printemps arabe ».

La métaphore évoque un phénomène de changement saisonnier. Le Printemps de Damas fit long feu. Les quelques mois qui suivirent l'élection de Bachar el-Assad en 2000 semblèrent annoncer de plus grandes libertés ainsi qu'une dynamique vers une réforme du système politique. Il ne fallut que quelques mois supplémentaires pour voir les espoirs se volatiliser et les illusions se briser.

Le Printemps de Prague fut un peu plus long. Il s'étendit de janvier à août 1968, quand la libéralisation politique initiée dans l'ancienne Tchécoslovaquie par Alexandre Dubcek fut tragiquement interrompue par l'invasion soviétique. Mais bien qu'éphémère, le Printemps de Prague, par l'esprit qui l'animait, inspira musique et littérature et son souvenir galvanisait encore de nombreux acteurs du changement vers la fin des années 80. Il va sans dire que ce printemps-là, pour bref qu'il fut, eut des effets durables.

De même, en Europe les mouvements révolutionnaires de 1848 échouèrent aussi vite qu'ils s'étaient soulevés. Ce fut une combinaison des promesses les plus exaltantes, de la participation la plus vaste, du succès initial le plus immédiat et de l'échec le plus inqualifiable.

Aujourd'hui, certains de ceux qui ont été impressionnés ou fascinés par le Printemps arabe inattendu, semblent choqués ou inquiets. Ils changent de métaphore et se réfèrent à une autre saison. L'automne, souvent associé à l'islamisme, décrit leur déception ou leurs appréhensions.

Sans aucun doute, l'effet de surprise provoqué par ces mouvements imprévus stimula plus d'un, mais leur enthousiasme ou leur hostilité auraient dû s'accompagner d'un peu d'humilité, celle d'écouter pour mieux comprendre.

Le recours à la métaphore du printemps soulève d'autres questionnements. S'agit-il d'une révolte du peuple arabe avec des manifestations nationales, ou bien assistons-nous à une pluralité de mouvements révolutionnaires distincts qui se ressemblent par certains aspects et motivations, et qui ont été une source d'inspiration et de stimulation les uns pour les autres ? La simultanéité et les points communs ne doivent pas masquer les différences intrinsèques entre les sociétés nationales arabes et leurs histoires respectives.

La question qui mène à réfléchir aux distinctions entre ces mouvements est de savoir si la désillusion due au despotisme des gouvernants en est la cause, si c'est l'expression d'un profond malaise, si ce sont de multiples revendications légitimes qui mobilisent les gens. On pourrait avancer que les causes d'origine économique et sociale créent une énergie politique plus facilement dans certains pays que dans d'autres et qu'aussi fort que soit le ressentiment, il n'explique pas à lui seul l'étendue populaire des mouvements révolutionnaires.

En bref, on pourrait dire que les similitudes sont à rechercher dans la non-violence, l'absence d'idéologie et l'aspect générationnel des révoltes arabes à leurs débuts. Leurs singularités, quant à elles, s'imposent dans le cadre d'une réflexion sur les perspectives d'avenir.

Pour certains, la vision de l'avenir est brouillée par une perception monolithique de l'islamisme. On n'oserait pas prétendre que les inquiétudes et craintes d'un grand nombre de personnes puissent être exorcisées par une simple analyse nuancée de l'islamisme ou par le dialogue avec des élites éclairées. Cela est rendu encore plus difficile par le fait que les régimes despotiques encore en place, aussi bien que le souvenir de ceux qui ont été renversés, exacerbent les craintes et les instrumentalisent. Ils prétendent protéger les minorités contre des peurs qu'ils ont eux-mêmes largement contribué à provoquer. De plus, il ne faut pas perdre de vue que les mouvements autoproclamés au nom de l'islam gagnent en visibilité et conduisent la révolte avec des slogans sur l'échec des gouvernements modernes, plus ou moins laïcs, néo patrimoniaux et autoritaires.

Aujourd'hui, où que se tiennent des élections démocratiques, un grand nombre de citoyens votent en faveur de partis politiques qui prônent le retour de la charia comme source de la légitimité et de la loi. Tandis que les acteurs de ces mouvements veulent récupérer ce qui, dans le passé, fit la grandeur de l'État islamique, ils annoncent simultanément leur engagement en faveur de la démocratie, en suggérant cependant que le nouvel État islamique ne sera pas une réplique moderne de l'ancien. Mais de nombreux islamistes entreront vraisemblablement dans un processus de transformation et de repositionnement.

Quoi qu'il en soit, la plupart des mouvements islamistes estiment que leur existence et leur évolution politique dépend de leur légitimité électorale. Ce fait n'est pas négligeable, même si la démocratie ne saurait se réduire à une seule expression, aussi cruciale soit-elle. Des élections libres et justes reflètent, certes, le droit d'élire. Moins évident est le droit de chacun à être élu. Et c'est le plus important dans la perspective du pluralisme.

Or dans plusieurs cas, la crainte de la tyrannie d'une majorité envahissante n'a pas été dissipée. En définitive, le règne de la majorité est légitime, mais l'usage de ce pouvoir pour subjuguer les minorités ne l'est pas.

Aujourd'hui, la force et l'influence des mouvements islamistes qui ont combattu avec succès des tyrannies laïques sont comparées à une vague qui retombera une fois épuisée sa force motrice. Les activistes islamiques ont joué un rôle significatif dans les révolutions, mais ce n'était pas un rôle dominant. Dans les pays où ils ont remporté les élections, ils ont déçu ceux qui ont voté pour eux et radicalisé leurs opposants.

La question de savoir si l'option démocratique des islamistes est viable reste cruciale. Et plus primordiale encore est la question de savoir si l'islam politique, tel que nous le connaissons, peut vivre dans un modèle de démocratie, inclusif et tolérant. Les islamistes ont exercé le pouvoir d'une manière autoritaire, au nom de la majorité en se présentant comme garants de l'identité première de la nation. La perte de ce pouvoir, notamment dans le cas de l'Égypte, les a radicalisés. Ce durcissement, au-delà de l'Égypte, a renforcé le rôle des islamistes radicaux et les a rapprochés de l'islamisme jadis modéré, après avoir été longtemps critiques, voire hostiles, à son égard.

Cette analyse n'aura pas de conclusion, à part celle d'admettre qu'il faudra encore du temps aux révolutions du monde arabe pour qu'elles puissent être en mesure de réaliser, ne serait-ce qu'en partie, les transformations promises. Une analyse prospective qui se veut crédible ne saurait faire l'économie d'une certaine humilité.

Traduit de l'anglais par Fifi Abou Dib

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Diverses expressions ont été utilisées pour décrire la vague de mouvements appelant au changement dans le monde arabe. De nombreux Occidentaux ainsi qu'un grand nombre d'Arabes, accueillant à bras ouverts et même célébrant la fin de ce qu'ils appelaient « la fin de l'exception arabe », utilisèrent les termes de « Printemps arabe ».
La métaphore évoque un phénomène de...

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