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Liban - Droits

L’instrumentalisation occultée des enfants dans les institutions sociales

Le centre de recherche et observatoire juridique al-Moufakkira al-qanouniya remet sur le tapis la situation des 23 000 mineurs vivant en dehors de leur milieu familial pour fuir la pauvreté et ses obstacles. Mais à quel prix ?

Sortir un enfant de son cadre familial, même pour lui assurer une meilleure vie, le soumet à des pressions psychologiques parfois violentes, relevées par des experts. Photo tirée du site blogs.nouvelobs

Les enfants vivant en internat dans des institutions sociales sont rarement orphelins. Si certains fuient la violence familiale, beaucoup la subissent dans le centre d'accueil. C'est que, le plus souvent, ces enfants sont confiés à ces associations sous la contrainte de la précarité afin de garantir leur droit à l'éducation. C'est l'histoire commune à presque tous les 23 000 enfants, c'est-à-dire mineurs, qui vivent actuellement dans ces institutions au Liban.
Leur situation, presque occultée dans le débat public, fait intervenir pourtant deux enjeux essentiels : d'abord, le mécanisme de l'aide de l'État aux ménages défavorisés – faut-il continuer d'aider les institutions sociales ou leur substituer une allocation familiale ? – ; et la question plus urgente de la sauvegarde des droits de l'enfant pris en charge par ces institutions, puisque « les isoler » n'est pas forcément « le meilleur moyen de se solidariser avec leurs familles », selon l'expression présentant le thème de la dernière conférence organisée par l'observatoire et centre de recherche juridique al-Moufakkira al-qanouniya (l'Agenda juridique). La conférence a mis en exergue « cette grande cause sociale des enfants dans les institutions, pourtant occultée par le débat public », selon l'avocat Nizar Saghiyeh, directeur exécutif de l'Agenda.

« Pas de fatalité »
En réaction à la conférence d'ailleurs, le ministre sortant des Affaires sociales Waël Abou Faour a publié un communiqué qui répond à certaines questions soulevées, même si le chemin reste encore long (voir par ailleurs).
L'Agenda a en tout cas tenté de définir un cadre d'action commune en tentant d'abord de comprendre si « la prise en charge des enfants par des orphelinats est une fatalité face à la pauvreté ».
Rida Hamdane, représentant l'association al-Bouhouth wa al-Isticharat (les recherches et les consultations) a démontré que le maintien des enfants au sein de leur famille d'origine, joint au versement d'une allocation familiale, coûterait moins cher à l'État que l'aide mensuelle versée aux institutions sociales pour chaque enfant pris en charge.
Ce constat est le résultat d'une étude effectuée par l'association al-Bouhouth wal-isticharat, vers la fin de 2006, à la demande du ministère des Affaires sociales et en coopération avec l'Unicef, « dans le but de cerner le nombre d'enfants présents dans les institutions, la situation sociale de leurs familles respectives et le coût de leur prise en charge par les orphelinats », comme l'explique Rida Hamdane. Il précise que c'est « la seule étude en la matière effectuée depuis la fin de la guerre civile ». Rédigé en 2007, ce rapport n'a pourtant jamais été autorisé à la publication par le ministère.

Scolarisation plus efficace à l'extérieur
Les quelques chiffres publiables ont été communiqués par Rida Hamdane lors de la conférence. L'étude a été effectuée sur « près de 85 % des institutions sociales, dont le nombre en 2006 était de 176 ». Ce nombre, ayant atteint son pic en 1999 (244 institutions), a maintenu néanmoins au fil des années une moyenne stable de 170 institutions. Il existe en outre quatre formes de prise en charge : l'internement et la scolarisation (à l'intérieur de l'institution ou dans un établissement extérieur ) des enfants (mineurs de moins de 18 ans) ; les programmes de lutte contre l'analphabétisme ; les études techniques fournies par l'association à ses internes ou à des non-internes.
C'est le premier cas qui intéresse l'étude en question. Celle-ci a compté 23 463 enfants en interne dans 176 associations en 2006, « dont 90 % ne sont pas orphelins, mais issus de milieux défavorisés ». Ces chiffres incluent les enfants à besoins spéciaux. Autrement dit, « 1,92 % de la population libanaise est formée d'enfants internés dans des associations : un pourcentage supérieur à la moyenne internationale », fait remarquer Rida Hamdane.

Gaspillage
Le ministère des Affaires sociales consacre pour le financement des institutions sociales une somme invariable, quel que soit le budget alloué au ministère. Cette somme, estimée à près de 66 milliards de livres
libanaises, constituait 75 % de la part du budget du ministère en 2005, l'année prise en compte par le volet économique de l'étude.
Sur la base de l'indice des prix à la consommation de 2004 à 2007, un enfant coûte par mois à un ménage 118 mille livres libanaises par mois, alors que l'association qui prend en charge cet enfant touche de l'État 133 mille livres libanaises par mois par enfant. Selon l'étude, si l'État avait choisi de transférer en 2007 cette somme directement aux ménages, sachant que « 94,5 % des enfants pris en charge par les associations sont frères et/ou sœurs », cela aurait ramené à chaque famille en moyenne un revenu de 280 mille livres libanaises, « ce qui correspondait à l'époque au salaire minimum », relève Riad Hamdane.
Par ailleurs, l'étude a démontré que « la scolarisation reçue par ces enfants en dehors de l'association qui les accueille est plus efficace que celle assurée à l'intérieur ». Notons que sur les 23 500 enfants en interne en 2006, 17 500 sont scolarisés, dont « le quart en dehors de l'institution et le tiers dans une école publique », toujours selon l'étude, qui ne prend pas en compte les facteurs psychologiques susceptibles d'influer sur le rendement scolaire (le fait d'arriver à l'école à bord d'un bus portant le nom de l'institution, stigmatisant les élèves comme orphelins aux yeux de leurs camarades...). Si l'on ajoute à cela la présomption – évoquée plus d'une fois lors de la conférence – que le bien-être de l'enfant est favorisé par son milieu familial naturel, l'enjeu de scolariser les enfants en les confiant à des institutions devient un argument fort discutable.

L'inévitable emprise du clientélisme
Enfin, l'usage qui est fait de ces associations trahit une instrumentalisation des besoins des enfants au profit du clientélisme. « Les institutions sociales sont imprégnées de la coloration confessionnelle de la région où elles se situent, ce qui favorise le chantage des familles pauvres par les leaders de chaque communauté », précise Riad Hamdane. Non seulement le ministère « a renoncé à son rôle d'intermédiaire entre les familles et les associations », mais il a également cessé de « superviser le respect des critères sous-tendant la qualification d'institution ».
Une autre forme de supervision, qui reste la plus importante, est celle qui porte sur le respect par les associations des droits de l'enfant. Intervenant également à la conférence, Adib Nehmé, ancien directeur de programmes au sein du ministère des Affaires sociales de 1998 à 2004, est revenu sur l'étude qu'il avait supervisée et qui tente de définir les critères d'une bonne prise en charge des enfants.

« Identifier les droits fondamentaux des enfants »
Si cette étude a conclu que le milieu familial est de prime abord le milieu le plus favorable à l'épanouissement de l'enfant, l'option de le confier à une institution devrait être l'ultime issue à des situations extrêmes de violence, d'abus ou d'extrême précarité.
L'un des enjeux avait alors été « d'identifier les droits fondamentaux des enfants » afin de définir limitativement les cas qui justifient leur prise en charge par les institutions, mais aussi afin de cerner les cas de violation de ces droits au sein même des institutions sociales pour initier « une intervention immédiate du ministère ».
Si aucune réforme globale, concrète et soutenue n'a fait suite à ces études, Adib Nehmé, aujourd'hui conseiller à l'Escwa, insiste sur la nécessaire collaboration entre tous les acteurs impliqués dans le dossier, y compris les directeurs des institutions sociales, quand bien même ils seraient les premiers bénéficiaires, en pratique, de l'aide versée par l'État aux enfants.

S. N.

Les enfants vivant en internat dans des institutions sociales sont rarement orphelins. Si certains fuient la violence familiale, beaucoup la subissent dans le centre d'accueil. C'est que, le plus souvent, ces enfants sont confiés à ces associations sous la contrainte de la précarité afin de garantir leur droit à l'éducation. C'est l'histoire commune à presque tous les 23 000 enfants,...

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