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Liban - Table ronde

L’hommage à Michel Asmar, fils de la pensée de la Renaissance

En 1946, l’humaniste et philosophe Michel Asmar fondait le Cénacle libanais, la tribune culturelle la plus importante de la République libanaise. À l’occasion de la fête de l’Indépendance, une cérémonie en son hommage a été organisée au Collège Saint-Grégoire, à Achrafieh.

Les élèves de 7e ont chanté des hymnes libanais pour célébrer l’indépendance.

En créant le Cénacle libanais, lieu de rencontre qui rassemblait des intellectuels de tous bords, venus discuter de sujets phares de la vie politico-culturelle d’un Liban qui commençait à découvrir son indépendance, Michel Asmar désirait créer un lieu où pouvait s’épanouir « l’expression de la conscience du Liban », en toute liberté. Tous les lundis et parfois les jeudis, et pendant plus d’un quart de siècle, une véritable dynamique intellectuelle prenait place au cœur de Beyrouth à l’initiative d’un seul homme, Michel Asmar.
Et c’est pour honorer les efforts de cet homme peu commun, et ce forum de pensée qui a disparu à jamais du paysage libanais avec la mort de son fondateur, que le Collège Saint-Grégoire d’Achrafieh a organisé mardi soir une
cérémonie, fidèle à sa tradition de fêter l’indépendance en honorant un père fondateur du Liban moderne. La rencontre, présentée par le recteur du Collège Notre-Dame de Jamhour et du Collège Saint-Grégoire, le père Bruno Sion, et la directrice déléguée, Christiane Tuéni, a été amorcée par une table ronde regroupant Carla Eddé, chef du département d’histoire et de relations internationales à l’Université Saint-Joseph, l’ancien député et journaliste Samir Frangié, l’éditorialiste et ancien rédacteur en chef de L’Orient-Le Jour, Issa Goraieb, et l’historien Amin Élias.
Tour à tour, les intervenants ont tenté de cerner le phénomène que constituait ce Cénacle libanais, lors d’un débat modéré par la fille ainée de Michel Asmar, Renée Asmar Herbouze, présidente de la Fondation an-Nadwa al-lubnaniyya, qu’elle a créée en 2010 pour tenter de redonner vie au Cénacle, et à un âge d’or de la pensée libanaise aux espoirs volés.
« En 1943, explique Carla Eddé, le Pacte national définit le Liban comme étant une patrie à visage arabe, pour confirmer l’indépendance d’un Liban ouvert à l’arabité mais qui refuse la fusion avec le monde arabe. C’est dire que le Liban n’est pas qu’arabe ; il est aussi ouvert à l’Occident. De là, Michel Asmar a bien compris qu’il existe au pays deux identités qu’il faut concilier à tout prix, et il crée ce forum pour consolider ce pacte. Il perdurera tant que le pacte survivra, et disparaîtra quand ce pacte sera secoué, aux abords de la guerre. Plus de 400 conférenciers libanais et internationaux participeront à quelques 600 conférences qui tenteront de réunir les faiseurs d’opinions ou responsables politiques, et les faiseurs d’idées, raconte l’historienne. Chaque conférence est suivie d’un débat, avant qu’elle ne soit publiée. » Et de conclure : « Ce forum réussit pendant des années, jusqu’en 1967, date où Michel Asmar entre en crise suite au conflit arabo-israélien. Il n’est plus convaincu. Il sent que la radicalisation et les identités ou appartenances exclusives ont eu raison du Pacte national. La guerre de 1975, quand elle débute, n’est donc qu’un choix. »

Du Pacte national au Pacte du vivre-ensemble
De son côté, l’ancien député Samir Frangié avoue qu’il est difficile de parler aujourd’hui du Cénacle libanais, « car ce retour au passé nous force à prendre conscience de la régression qui marque le temps présent ». « Parmi les personnes que Michel Asmar contacte pour promouvoir ce Pacte national figurent Michel Chiha, Béchara el-Khoury, Charles Corm, Hamid Frangié, Kamal Joumblatt et Mustapha Nsouly, indique Samir Frangié. Plus de 40 ans après, un nouveau pacte, l’accord de Taëf, est adopté. Il ne se trouvera personne, ni parmi les chrétiens ni parmi les musulmans, pour prendre à sa charge de promouvoir ce Pacte du vivre-ensemble. Plus grave encore, les dirigeants politiques n’ont pas compris la portée de cet accord et ses notions de citoyenneté et de pluralisme, car ils ne possédaient pas les éléments nécessaires. L’accord a été lu avec les lunettes d’un comptable identitaire, en termes de gains et de pertes communautaires », déplore M. Frangié.
Et de poursuivre : « Aujourd’hui, nous peinons à parler avec notre voisin de palier, et cela à un moment où le Liban aurait pu apporter une contribution importante aux efforts en cours pour créer un nouveau monde arabe. Et cela doit nous pousser à nous reprendre en main pour réfléchir et créer une nouvelle tribune, pour le Pacte du vivre-ensemble. Cette dernière aurait pour but de jeter les bases d’un État civil du vivre-ensemble, d’une nouvelle arabité du vivre-ensemble loin de l’arabité du ressentiment, et une nouvelle Méditerranée du vivre-ensemble, cette mer de toutes les fractures. Nous sommes à la veille de grands changements au Liban et dans le monde arabe, et nous ne disposons pas des instruments nécessaires pour y faire face. Nos instruments politiques sont obsolètes, nos partis rivés au passé et notre État paralysé par les luttes des partis communautaires. Inspirons-nous de ce grand précurseur qu’a été Michel Asmar et créons une tribune du vivre-ensemble qui intégrerait notre dimension libanaise, mais aussi arabe et méditerranéenne », a souligné Samir Frangié.
Pour sa part, Issa Goraieb a noté à quel point la phase actuelle est critique pour le Liban et combien elle nécessite que l’on tente de « refaire cette indépendance que nous nous obstinons à célébrer moins par conviction que par une sorte de superstition, cette citoyenneté et ce Pacte national qui fut essentiellement une entente maronito-sunnite et qui se trouve bousculé par l’émergence en force d’une composante chiite exigeant réparation et puissamment armée, de surcroît, sous couvert de résistance à l’occupation israélienne. Il faut revoir, par voie de conséquence, le système et les codes de fonctionnement des institutions étatiques aujourd’hui grippées, du moment que le fait accompli sur le terrain l’emporte sur la lettre et l’esprit des textes. Aujourd’hui, nous vivons dans un édifice de paille, sans toit, sans murs,
exposé à tous les vents, à toutes les attaques terroristes. C’est dire à quel point une telle foule de chantiers vitaux requiert, commande, l’existence d’une aire de réflexion et de dialogue aussi efficiente – et civile – que le fut le Cénacle libanais de Michel Asmar », a ajouté Issa Goraieb. Déplorant qu’il ait été substitué par une table de dialogue « stérile », M. Goraieb a assuré que « Michel Asmar ne s’est pas contenté d’être lui-même un éminent penseur, doublé d’un ardent patriote ». « En instituant un débat de haute qualité, il a œuvré, mieux que bien des responsables politiques ayant pourtant charge d’âmes, à une réflexion commune et régulière sur ce véritable rébus existentiel que forme le double impératif de pérennité et d’évolution du Liban. Pour le journaliste, l’homme de communication que je suis, Michel Asmar aura été surtout un imprésario de génie, œuvrant sans relâche à mettre en contact, en relation, en rapport, et inévitablement parfois en collision, des hommes et des idées, afin que soient arrondis les angles d’un Liban encore adolescent, pour que soit ébauchée l’image d’un Liban plus vivable, plus viable », a conclu Issa Goraieb.
Enfin, Amin Élias, qui a récemment présenté sa thèse de doctorat portant sur le Cénacle libanais, a qualifié Michel Asmar de fils de la « Nahda » (renaissance) et de l’indépendance, « cette nouveauté au Liban qui l’a poussé avec ses camarades à s’engager positivement pour le pays, et à essayer de lui créer une philosophie politique ». « C’est le travail qu’a accompli le Cénacle libanais qui a permis au Liban après 15 ans de guerre et 15 ans de tutelle d’exister toujours, fort de son patrimoine culturel établi », a-t-il noté, avant que Renée Asmar Herbouze n’affirme qu’elle tente de trouver aujourd’hui un format adéquat adapté aux nouvelles technologies, pour relancer ce Cénacle.
La cérémonie a été clôturée par des présentations artistiques des élèves du collège, la plantation d’un arbre au nom de Michel Asmar, une exposition, et un vin d’honneur.

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