C’est presque un cri du cœur que le président de la Chambre Nabih Berry lance aux Libanais à travers le conseil de l’ordre des rédacteurs. À une semaine de la fête de l’Indépendance, ce politicien hors pair, toujours prêt à imaginer des sorties de crise, est en quelque sorte en dépôt de bilan.
Avec une certaine amertume et beaucoup de tristesse, il déclare : « J’ai malheureusement désormais la certitude que les initiatives internes ne servent plus à rien. Il faut maintenant agir de l’extérieur. Cela signifie hélas que les Libanais ne sont pas en mesure de se gouverner. Ils ont besoin pour cela de l’aide de leurs amis, qui, avec le printemps arabe, sont devenus très rares. »
Berry revient sur la proposition qu’il avait lancée le 31 août dernier d’organiser une sorte de conclave de 5 jours pour les participants à la conférence de dialogue, au cours duquel ils discuteront en toute franchise et inlassablement des sujets conflictuels pour aboutir à dessiner les contours et la forme du nouveau gouvernement. Berry ne comprend pas pourquoi cette proposition avait été rejetée. Il avait d’ailleurs été attaqué sous prétexte qu’un tel conclave serait une atteinte aux prérogatives du chef de l’État et du Premier ministre qui ont, seuls, le pouvoir de former le gouvernement. Il répète aujourd’hui que tel n’est pas son propos. En discutant ensemble à huis clos, les participants au conclave pourront préciser les contours du gouvernement, sans entrer dans les détails. Mais il reconnaît que, hélas, aujourd’hui, nul ne veut dialoguer.
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Berry insiste sur le fait que désormais, tout se passe à l’extérieur du Liban puisque, ici, nous avons un gouvernement chargé de l’expédition des affaires courantes, un Premier ministre désigné, un Parlement paralysé, une conférence de dialogue bloquée et bientôt une échéance présidentielle dont on ne sait pas quel sort lui sera réservé.
Berry ajoute qu’il a fait de multiples propositions qui pourraient constituer des sorties de crise. « Malheureusement, dit-il, la décision était toujours de répondre par la négative. »
Qui est en train de fermer toutes les portes et les fenêtres ? « Le refus vient à la fois de l’intérieur et de l’extérieur, répond Berry. Dans une situation aussi délicate, il n’est plus nécessaire d’adopter un langage diplomatique. Je le dis en toute franchise, il n’est plus permis de garder la situation telle quelle... »
Le président de la Chambre rappelle qu’on est à la veille de la fête de l’Indépendance et il se demande : « Comment pourrons-nous célébrer cette fête alors que nous refusons de nous asseoir les uns avec les autres et de nous parler ? Il nous est interdit de le faire. Dans ce cas, où est l’indépendance ? La fête consiste-t-elle seulement à assister à un défilé militaire ou bien y a-t-il un esprit en commun, une signification à cette fête qui touche les institutions de l’État et l’avenir commun entre les Libanais ? Nous affirmons vouloir la démocratie, mais celle-ci consiste-t-elle à fermer le Parlement, à ne pas appliquer la Constitution, ou à l’appliquer à la carte ? Il nous est interdit de former un gouvernement et il est interdit au Premier ministre désigné de s’excuser. Nous attachons des espoirs sur une visite et c’est le contraire qui se passe. Jusqu’à quand cela peut-il durer ? » s’écrie Berry, dans une sorte de réflexion à haute voix.
À la question de savoir quel est le rôle de l’Arabie saoudite dans le blocage actuel des institutions, Berry répond : « Il est contraire à ses habitudes. Je n’en dirai pas plus. »
Le président de la Chambre ne cache pas son inquiétude face au blocage actuel en se demandant : « Où va le pays si nous continuons ainsi ? » Il rappelle qu’il a tout tenté pour arrondir les angles et faire des propositions, mais tout est rejeté. Pourtant, il estime qu’il serait bon de s’asseoir ensemble et de définir les sujets de conflits pour tenter de trouver des terrains d’entente. Il ajoute : « À ma connaissance, je n’ai pas d’ennemi au Liban. Nous pouvons être en conflit, avoir des divergences, mais aucun Libanais n’est l’ennemi de l’autre. Si un adversaire politique a un problème, je me tiendrai à ses côtés. C’est cela le Liban que j’ai connu et pour lequel je travaille. Mais on dirait qu’aujourd’hui, les choses sont en train de changer », dit-il.
Il revient sur la fameuse équation « Syrie-Arabie saoudite », qui, à un moment donné, était très utile pour le Liban. Mais aujourd’hui, elle n’existe plus. Faudrait-il la remplacer par l’équation « Iran-Arabie saoudite » ? Berry se contente de déclarer qu’un dialogue entre l’Arabie et l’Iran serait profitable pour les Arabes et pour les musulmans. D’autant que ce qui est grave, à ses yeux, c’est qu’on cherche à créer aux Arabes et aux musulmans un ennemi de l’intérieur pour remplacer celui qui les a toujours rassemblés, Israël.
(Commentaire: Un printemps saoudien ?)
Revenant aux questions internes, Berry estime que la visite du président de la République en Arabie devait avoir lieu, et c’est une bonne chose. Toutefois, les résultats de cette visite sont très vite apparus à travers les déclarations qui l’ont suivie, précise Berry qui refuse de commenter la présence de cheikh Saad Hariri à la rencontre du président Sleiman avec le roi Abdallah. Il se contente de dire que sur le plan gouvernemental, les Saoudiens ont la possibilité de faciliter les choses. Mais concernant le dialogue, la décision d’y participer appartient aux Libanais seuls. Il ajoute qu’un pays sans gouvernement, c’est comme une société sans conseil d’administration, elle ne peut pas fonctionner comme elle le devrait. Il rappelle aussi que c’est bien lui qui avait imaginé la formule de « 9, 9, 6 » dans l’espoir de trouver une issue au blocage. Mais elle a été immédiatement rejetée par le 14 Mars, alors qu’elle est équitable.
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Au sujet de son dernier entretien avec le Premier ministre démissionnaire, Nagib Mikati, Berry a déclaré l’avoir informé de l’accord de son bloc à la tenue d’une réunion du Conseil des ministres consacrée au dossier du pétrole. S’il est vrai que la Constitution donne une interprétation étroite de l’expédition des affaires courantes, Berry explique que dans une étude sur le sujet qui est quasiment une référence, Abdo Oueidate avait établi une distinction entre les affaires banales, et celles qui exigent des décisions et qui portent sur les sujets qui touchent à la sécurité de l’État, à une agression contre lui, etc. Selon lui, le dossier du pétrole – surtout avec le fait qu’Israël est en train de faire des prospections à 3 km des eaux territoriales libanaises et, par conséquent, il peut pomper nos ressources avec les nouveaux moyens techniques – fait donc partie des agressions contre l’État qui méritent la tenue d’un Conseil des ministres. Mais Mikati continue de refuser... Concernant l’espionnage israélien du Liban, l’affaire est plus simple, et Berry compte demander une réunion des commissions parlementaires conjointes pour convoquer les ambassadeurs de l’UE et ceux des pays membres du Conseil de sécurité.
Au sujet de la sécurité, Berry déclare qu’il ne craint pas une explosion généralisée car « toutes les parties sont d’accord pour refuser de revenir à 1958 ou à 1975 ». Mais il dit aussi : « Il ne faut pas crucifier le Liban sur la croix syrienne... »
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Avec une certaine amertume et beaucoup de tristesse, il déclare :...
commentaires (9)
IL parle lui "d’État", le chef Milicien-là !
Antoine-Serge KARAMAOUN
16 h 56, le 16 novembre 2013