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À La Une - En dents de scie

Janus a faim

Quarante-quatrième semaine de 2013.
Chaque échiquier politique dans chaque pays du monde est profondément schizo-
phrène. Écartelé entre les pires, naturellement majoritaires, et les meilleurs, qui se comptent au grand maximum sur les doigts d’une main. Et entre les deux, tout l’éventail : des plus glauques aux plus studieux en passant par les plus insipides. C’est normal, c’est la règle du jeu. Sauf qu’au Liban, cette réalité dépasse tout entendement : rarement la bipolarité psychotique de ce pays n’aura été aussi flagrante qu’au cours de ces sept jours qui viennent de passer.
Il y a quelque chose de terriblement gênant chez le binôme Eid. De laid. Pas parce qu’il est pro-Assad jusqu’à la moelle. Pas parce qu’il prend en otages Tripoli et les Tripolitains depuis des années. Pas parce qu’il est intrinsèquement et organiquement lié aux miliciens/mercenaires du Hezbollah. Pas parce qu’il a refusé de répondre à la convocation des enquêteurs et traité les FSI de tous les noms. Non. C’est juste cette insupportable arrogance. Cette vanité putride de celles et ceux qui reste(ro)nt
persuadés, en toutes circonstances, qu’ils surplombent la loi et qu’ils la tiennent en laisse. Qu’elle ne dépend que de leur bon plaisir. Qu’ils sont les maîtres de la jungle. Le père et le fils ne sont pas uniquement hors les lois, pas uniquement irrespectueux, grossiers, méprisants, menaçants, profondément miliciens dans l’âme donc, ils incarnent avant tout cette désolante beaufitude dont les Libanais, dans leur immense majorité, ont tellement honte. Ils incarnent ce que la politique peut avoir de plus gueux et de plus fâcheux. De plus plouc, surtout.
Il y a quelque chose de profondément rassurant dans la posture d’Ibrahim Najjar. Dans cette novlangue politique qu’il a su apprendre aux Libanais lorsqu’il était ministre de la Justice. Dans cette confiance dans les institutions qu’il a pu, un peu, leur redonner. Dans son appréhension de sa mission, débarrassée de toutes les bactéries qui collent d’habitude à la peau moite de tous les politicards libanais : leur hystérie à faire carrière. En l’élevant cette semaine, au nom de François Hollande, au rang d’officier de la Légion d’honneur, l’ambassadeur Paoli n’aurait pas pu zapper cette justice plus humaine, cette magistrature impartiale et respectée, deux des quelques chevaux de bataille, ou travaux d’Hercule, qu’Ibrahim Najjar s’est imposés durant son mandat. Exaspérés par un gouvernement, sortant qui plus est, d’incapables absolus, à une ou deux exceptions près, les Libanais regardent l’ancien ministre et ces quelques femmes et hommes élevés aux mêmes principes, aux mêmes valeurs, comme une espèce d’Atlantide au cent et une beautés et aux cent et une bontés, espérant, priant, que ce qui l’a engloutie un jour la repropulse à la surface, l’adoube de nouveau comme Cité idéale, comme Constitution inaliénable et comme message à reproduire, partout, tout le temps.
Ce grand écart est éreintant. Les Eid et Ibrahim Najjar sont, in fine, deux concepts. Les Eid et Ibrahim Najjar n’ont rien, absolument rien en commun, à part un passeport. Il n’y a là aucune richesse, aucun triomphe urgent et nécessaire du pluralisme, aucun yin et yang qui, nécessairement, se complètent et catalysent, dans quelque magnifique synergie. Il y a juste une bataille tellement triviale et éculée entre le bien et le mal publics, politiques. Qui n’a bizarrement rien à voir avec le 14 et le 8 Mars : certains élus du 8 sont des gens honnêtes, obnubilés par l’intérêt du collectif mais juste prisonniers des tactiques très clockwork orange, des alliances mortifères de leur gourou ; d’autres du 14 ne sont mus que par des agendas sclérosés, des calculs malades. Une bataille qui n’a rien à voir non plus, en réalité, avec quelque politique des axes que ce soit, ni avec l’anamorphose d’un monde arabe qui n’en peut plus de se (re)chercher.
La bataille est juste entre ceux qui défendent l’État, aussi agonisant et lépreux soit-il (pourquoi ne fait-on pas avec les Eid ce que l’on a fait avec Ahmad el-Assir ? ), et ceux qui vendraient un rein pour le triomphe de la milice.
Le Liban n’est plus qu’une dystopie. Grotesque et décharnée et qui organisera, plus tôt que tard, ses propres Hunger Games.
Quarante-quatrième semaine de 2013.Chaque échiquier politique dans chaque pays du monde est profondément schizo-phrène. Écartelé entre les pires, naturellement majoritaires, et les meilleurs, qui se comptent au grand maximum sur les doigts d’une main. Et entre les deux, tout l’éventail : des plus glauques aux plus studieux en passant par les plus insipides. C’est normal,...

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