Rechercher
Rechercher

Liban - Rencontre

Et si les pays arabes diversifiaient davantage leurs sources d’énergie ?

Le sixième congrès annuel de l’AFED se déroule depuis hier à l’émirat de Sharjah (Émirats arabes unis) sous le signe de l’énergie. Pétrole, gaz naturel, énergies renouvelables, nucléaire... le nouveau rapport de l’organisation explore toutes les options.

L’énergie solaire pour la production d’électricité évolue dans les pays arabes, dont le leader actuel en la matière sont les EAU.

C’est à l’Université américaine de Sharjah et non à Beyrouth, comme d’habitude, que se déroule cette année le congrès annuel du Forum arabe d’environnement et de développement (AFED), une organisation régionale qui publie chaque année un rapport sur l’environnement dans les pays arabes. Rencontré à Beyrouth avant son voyage, Nagib Saab, secrétaire général de l’AFED, évoque des raisons sécuritaires pour ce changement exceptionnel. « Comme nous parlons d’énergie cette année, que la plupart des grands acteurs dans ce domaine se trouvent dans les pays du Golfe et que les ressortissants de ces pays évitent de se déplacer au Liban pour des raisons de sécurité, nous avons tenu le congrès annuel exceptionnellement à Sharjah », dit-il.


C’est d’énergie donc que traite le nouveau rapport de l’AFED, lancé hier lors du congrès. M. Saab affirme qu’il était naturel de consacrer un numéro à l’énergie, après que ce sujet ait été présent dans les cinq précédents : les défis du futur en 2008, l’impact du changement climatique dans les pays arabes en 2009, les ressources hydrauliques en 2010, l’économie verte dans un monde arabe changeant en 2011, l’empreinte écologique en 2012.


Et de préciser : « Beaucoup de congrès sur l’énergie sont organisés chaque année dans le monde arabe, il est vrai, mais les organisateurs sont souvent des sociétés privées mondiales ou des gouvernements, qui ont leur propre agenda, ce qui est normal. Notre organisation est indépendante, les gouvernements n’y sont représentés qu’à titre de membres observateurs. Les autres membres sont des sociétés privées, des ONG, des centres de recherche ou des universités, et ils sont au nombre de 120, contribuant à notre budget. Cela signifie que nous ne dépendons pas d’une seule partie, mais de plusieurs, d’où notre indépendance. »


Le rapport 2013 commence par faire le bilan de cinquante ans de forage intensif de pétrole : tout en reconnaissant l’effet bénéfique du pétrole sur les économies arabes, le rapport en cite les désavantages, notamment le fait que ces économies sont devenues bien trop dépendantes d’industries gourmandes en énergies fossiles à prix bas. Le rapport recommande une plus grande diversification de ces économies, afin de mieux préparer l’avenir.


Quel message compte transmettre AFED qui organise son congrès dans un pays pétrolier ? « Les EAU sont le lieu adéquat pour prêcher cette diversification, étant donné que ce pays ne dépend plus du pétrole que pour 33 % de ses besoins, précise Nagib Saab. Après cinquante ans de ce boom dû au pétrole, il est temps de retourner à un mode de développement plus durable afin de préparer l’avenir. Il faut encourager le secteur privé à investir dans d’autres industries que le pétrole, ou dans des industries qui ne dépendent que du prix bas du fuel pour être compétitives. Une politique durable de l’énergie ne peut être séparée d’un développement durable. À titre d’exemple, nous poussons certains pays arabes à mieux réfléchir leur politique d’immigration, étant donné que les locaux y sont de loin moins nombreux que les ressortissants étrangers. Cela représente-t-il trop de pression sur les ressources naturelles ? Et comment cela influe-t-il sur les politiques énergétiques dans ces pays ? »

 


L’efficacité énergétique, une énergie renouvelable
Qu’apporte ce nouveau rapport ? « Nous y consacrons bien sûr un chapitre sur les énergies renouvelables, qui connaissent un développement notoire dans les pays arabes, et un autre sur la lutte contre le changement climatique qui devrait affecter sérieusement cette région déjà aride, répond-il. Mais nous montrons aussi que la première source d’énergie renouvelable dans les pays arabes serait une plus grande efficacité énergétique. Il y a trop de gaspillage dû aux prix artificiellement bas de l’énergie. Nous négligeons tellement les législations d’efficacité énergétique que, à titre d’exemple, les voitures qu’on nous envoie dans cette partie du monde n’ont pas les mêmes spécifications d’économie et de lutte contre la pollution qu’en Europe et en Amérique. Même le gaz naturel ne s’utilise pas assez en raison des prix bas du pétrole. Qatar, qui a la plus grande réserve de gaz, n’a même pas les pipelines nécessaires pour l’envoyer aux pays voisins. »


Le gaz naturel, justement, fait l’objet d’un chapitre entier. Le rapport note que l’utilisation de cette source d’énergie a augmenté considérablement ces 40 dernières années, mais le prix artificiellement bas du pétrole dans beaucoup de pays continue de freiner l’utilisation de cette énergie fossile bien moins polluante. « Pour nous, le gaz est une énergie de transition importante, pas une solution à long terme, explique M. Saab. À Qatar, il est facile à extraire. Mais ailleurs, le fractionnement des roches pour l’extraction du gaz est un procédé qui entraîne de vastes modifications dans les terrains, et ses conséquences à long terme sont inconnues. Voilà pourquoi nous ne le considérons pas comme une énergie totalement propre, même s’il est moins polluant que le pétrole. »


Le rapport comporte également un chapitre sur l’énergie nucléaire dont le secrétaire général de l’AFED est très fier. Le rapport note que plusieurs pays arabes considèrent sérieusement cette option (certains ont déjà lancé le processus), bien qu’ils soient un foyer important de production d’énergies traditionnelles.


« C’est un chapitre que je considère comme très important, insiste M. Saab. Le monde arabe est divisé entre partisans et détracteurs du nucléaire. Nous nous efforçons, dans notre rapport, de ne pas prendre position, mais de donner aux décideurs une matière fiable à réflexion. Les experts qui l’ont écrit sont très compétents et d’opinions diverses. Il était important qu’une organisation indépendante aborde enfin ce sujet car il y a des pays qui se sont lancés déjà dans cette voie comme les EAU et l’Arabie saoudite. Leurs arguments, c’est que la technologie nucléaire est nécessaire pour différents secteurs comme le médical ou autre. »


Il ajoute : « Mais en ce qui concerne l’énergie nucléaire, il est crucial d’avoir des législations nationales solides. Il faut réfléchir sur l’impact réel du nucléaire sur le développement, et se demander, surtout, s’il contribue réellement à la sécurité énergétique. Aucun des pays arabes ne peut enrichir l’uranium, pour diverses raisons technologiques, politiques et autres. Ils doivent donc importer l’uranium enrichi et dépendront toujours de cette importation, comme le soulignent les détracteurs du nucléaire en Jordanie par exemple. Enfin, il reste le problème essentiel, celui des déchets radioactifs pour lesquels il n’existe aucune solution encore. Les États-Unis ont dépensé des milliards de dollars sans résultat. Il faut compter tout cela dans le prix du kilowatt/heure produit par le nucléaire. » Nagib Saab se demande si les pays arabes sont vraiment prêts pour cela.

 


On peut facilement réduire de 50 % la consommation
Interrogé sur l’impact des rapports d’AFED sur les décideurs arabes, généralement présents lors des congrès, il affirme en détenir des preuves irréfutables. « Ces rapports sont relayés par les médias et intéressent par le fait même les décideurs, dit-il. Nous avons constaté un impact concret par le passé. L’année dernière, les représentants du Koweït au congrès ont été vexés de savoir que leur pays détenait la regrettable place de la seconde plus importante empreinte écologique per capita du monde. Mais avec le recul, ils ont été convaincus de la véracité des chiffres et nous ont invités à leur en parler. À la suite d’une réunion qui a eu lieu au Koweït, ce pays a entamé un programme pour régler ce problème. »


En ce qui concerne l’énergie, comment pouvez-vous pousser des pays, notamment pétroliers, à changer de politique quand ils trouvent leur compte dans celle qui a cours ? « Une production très polluante est une entrave au développement durable, affirme-t-il. Ces pays devront changer obligatoirement de politique. Nous leur transmettons le message suivant : pas besoin de gaspiller leur pétrole à si bas prix, ils peuvent le vendre à l’étranger au prix mondial et diversifier leurs sources d’énergie et leurs économies. Chaque baril de pétrole utilisé dans le marché domestique des pays du Golfe représente une perte de 90 %, étant donné qu’il n’est commercialisé qu’à 10 % de son prix. Dans les pays arabes, il est possible de réduire de 50 % notre consommation d’énergie, dont 40 % sont très faciles à appliquer, par de simples mesures à mettre en place. On peut encourager les voitures hybrides par exemple. Les voitures, comme les appareils électroménagers, doivent être sujets à des spécifications. Les derniers 10 % nécessitent plus d’investissement. Et les investissements ne manquent pas dans la région. »


Et le Liban ? « Au Liban, toute avancée nécessite des efforts gigantesques, et les résultats sont rarement au rendez-vous, déplore-t-il. Pour ne citer qu’un exemple de dysfonctionnement, il n’y a pas de budgets nationaux depuis huit ans. Cela nous désole, nous sommes après tout une organisation basée à Beyrouth. »


Enfin, M. Saab nous apprend que cette année se tiendra une nouvelle fois le forum des leaders futurs de l’environnement dans le cadre du congrès, et qu’il englobera un nombre très important d’étudiants : quelque 200 de diverses nationalités arabes. Ils discuteront le rapport lors de débats organisés dans cet objectif.

 

 

Pour mémoire

Plaidoyer de Bassil pour le développement des énergies renouvelables


Al-Walid ben Talal : Le développement du gaz de schiste menace l’économie saoudienne

 

Commentaire

Le déclin des énergies renouvelables

 

 

C’est à l’Université américaine de Sharjah et non à Beyrouth, comme d’habitude, que se déroule cette année le congrès annuel du Forum arabe d’environnement et de développement (AFED), une organisation régionale qui publie chaque année un rapport sur l’environnement dans les pays arabes. Rencontré à Beyrouth avant son voyage, Nagib Saab, secrétaire général de l’AFED,...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut