«Another Birthday», une toile sur soie de l’artiste.
Un seul fil conducteur relie pourtant l’œuvre à plusieurs facettes de Yassine, c’est celui d’un travail continu sur la mémoire. Fouinant, sondant, fouillant et prospectant dans ses souvenirs personnels et dans la mémoire collective, il réussit à reproduire cet univers lointain, mais ô combien familier.
Il y a un an encore, il participait à la galerie The Running Horse, dans le cadre du collectif Atfal Ahdath, à une installation qui s’inspire des photographies en studio d’antan propres à la région. Atfal Ahdath est un projet de plus qui vient s’ajouter à la longue liste de ses innombrables aventures, notamment le label de musique qu’il a créé avec Sharif Sehnaoui et Hatem Imam en 2009 et baptisé «Annihaya» ou encore le festival Irtijal, organisé en 2001 avec la complicité de Sharif Sehnaoui et Mazen Kerbaj. Dans l’esprit de Yassine, qui s’est amusé malgré sa jeune trentaine à remonter les aiguilles du temps pour le déconstruire et le reconstruire, la fiction et le réel semblent se mélanger. On ne perçoit jamais dans cette nostalgie une quelconque mélancolie. Bien au contraire, il y a un sentiment de gaieté qui flotte dans son espace et un air de paradis perdu que l’artiste essaye de retrouver avec humour..., avec amour.
Toujours recréer
Si, pour Marcel Proust, «le souvenir d’une certaine image n’est que le regret d’un certain instant», Victor Hugo considère par contre que «créer, c’est se souvenir». C’est donc dans cette optique-là de réminiscence et en suivant les traces de cet artiste insatiable de culture populaire qu’on arrive à comprendre le récent travail qu’expose Raëd Yassine à la galerie The Running Horse.
Il est certain, sans aucun doute, que la mort tragique de son père a largement affecté le travail de l’artiste et, qu’en hommage à ses parents qui exerçaient le métier de couture, qu’il s’est mis à assembler les morceaux d’une mémoire qui ne s’est jamais effilochée. Dans «Dancing, Smoking, Kissing», Yassine nous accompagne dans ce voyage dans le passé. Il nous prend par la main et nous introduit dans son monde, qui est en fait le nôtre. Car qui de nous n’a pas de photos de famille assemblée autour d’un gâteau d’anniversaire, de voyages de parents, d’instants furtifs pris à la dérobade d’une première cigarette ou encore d’un premier baiser?
Cet exercice d’une finesse absolue évoque donc le souvenir. On dit souvent que lorsqu’on se souvient d’un événement, l’inconscient se charge de chasser les mauvais instants pour en garder les meilleurs. Y a-il donc une part de «brodé» dans les souvenirs de Raëd Yassine? Sur ces soieries (et quel raffinement dans le choix de l’étoffe!) qu’il a retravaillées en reproduisant des images, fil après fil, surgies de sa tête ou retrouvées dans des archives familiales quelques années après les avoir perdues, l’artiste a retrouvé les maillons manquants de la mémoire et a recousu son passé. En faisant revivre ces instants si intimes, il a réussi à démultiplier ces images et à nous les faire approprier. Comme un film en noir et blanc qu’on a soudain colorisé, l’album photos de Raëd Yassine reprend des couleurs et s’anime... d’une vibrante émotion.