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À La Une - Colloque Première partie

Le sourire d’Émile Boustani, relique d’un rêve pour le Liban

« Libre et fidèle », Émile Boustani, député et ministre, disparu il y a cinquante ans, a exprimé, par son action, « son grand rêve pour la République ».

Photo Michel Sayegh

Le sourire d’Émile Boustani recèle toutes les particules de sa vie : celle de l’orphelin né dans la précarité, qui a édifié, en l’espace de dix ans, un empire dans le monde des affaires; celle de l’homme, mû par l’ardente volonté de se libérer, qui a décroché une bourse à l’Institut de technologie de Massachusetts (MIT), après des études à l’Université américaine de Beyrouth, financées par des petits boulots ; celle aussi du politique humaniste, député et ministre doté d’une grande autonomie de manœuvre, qu’il a investie pour consolider une identité libanaise transcommunautaire, ainsi qu’une appartenance arabe émancipée des idéologies assassines.


La 50e année de sa disparition, dans des conditions restées floues, a été commémorée samedi par un colloque à l’hôtel al-Bustan, qui s’est ouvert en matinée sur deux tables rondes retraçant ses accomplissements politiques et financiers, avant de se poursuivre dans l’après-midi (voir ci-dessous) sur les particularités de l’homme.
Lors du premier débat centré sur l’engagement pour le Liban, « De la place du village au centre du monde », modéré par la journaliste Paula Yaacoubian, ses qualités n’ont pas manqué de revenir, comme un leitmotiv, celles de « l’éthique, la précision, l’humilité et la subtile administration », selon le député Marwan Hamadé.

 


« La réserve stratégique »
Ce dernier a préféré néanmoins s’attarder sur la dimension du politique « indépendant et engagé », animé d’une profonde animosité contre « la corruption et le confessionnalisme » ; « le fils de Dibbiyé, du Chouf et de la Montagne, ami d’Abou Hassan et compagnon des cheikhs » ; « le charmeur des foules et des princes », qui a su demeurer « libre et fidèle » ; cet homme qui aurait mérité la présidence de la République, si l’on oublie « la déchéance progressive des présidences ». « Allié de Kamal Joumblatt en dehors du cadre partisan », Émile Boustani aura porté comme un insigne « les liens forts d’affection » consolidés entre les familles Hamadé et Boustani, « nos cousins », depuis les sanglants événements de 1860. Il était comme « la réserve stratégique des rêves libanais ». Cette comparaison, Marwan Hamadé la formule en hommage à « son grand rêve pour la République », celui qui l’a conduit par exemple en 1952 à instiguer, avec six autres députés (Kamal Joumblatt et Camille Chamoun, qui « l’admiraient et le craignaient », Ghassan Tuéni, Pierre Eddé, Anwar Khatib et Abdallah Hajj), la révolution socialiste blanche.
L’année suivante, dans un discours à la place de l’Étoile adressé au gouvernement de Saëb Salam, il a mis en garde contre les accords de coopération économique exclusive avec la Syrie, qui préludaient déjà « au chantage » que subira le Liban, comme le rapporte Marwan Hamadé.


Une amitié le liait également à Saëb Salam, sur laquelle le Premier ministre désigné Tammam Salam, représenté au colloque par son épouse Lama, n’a pas manqué de revenir. Son « éveil politique » aura d’ailleurs été imprégné par cet « homme extraordinaire », lié à son père par une amitié commune avec Nemer Toucan (décédé avec lui dans l’accident d’avion), et par « un loisir peu commun à l’époque, le plaisir de fumer le cigare cubain ». Cette dernière image est comme la métaphore de l’homme « de rêve et d’action ». Endossant la cause palestinienne « dans toutes ses dimensions, politique et humanitaire, et sur toutes les tribunes », il soutenait en même temps « chaque initiative, dans l’enceinte parlementaire ou les arènes populaires, susceptible d’immuniser la formule libanaise de coexistence », relève Tammam Salam.

 


L’émissaire arabe...
Salah Honein, dont le père Édouard Honein a également partagé avec Émile Boustani les valeurs démocratiques, est revenu sur deux anecdotes révélatrices de « son jeu avec la République, sa décision d’être tout ou rien dans l’arène publique », comme l’a souligné par ailleurs dans une intervention imprégnée d’éloquence l’ami de Boustani, Georges Skaff. Honein rappelle ainsi la démarche spontanée d’Émile Boustani, au lendemain de l’assassinat, le 17 septembre 1948, du comte Bernadotte, émissaire onusien dans le conflit israélo-palestinien. Voyant qu’aucun délégué arabe n’était présent à la cérémonie d’enterrement, il a décidé d’y prendre part en habit traditionnel, revêtant parfaitement, devant les médias, le rôle du représentant des États arabes. Il revient par ailleurs sur le discours de Boustani prononcé au Parlement contre l’interdiction du twist, décrivant cette danse, non sans humour, comme « un va-et-vient des mains tirant une serviette au bas du dos ». Il avait su assimiler autant « les traditions que le nécessaire avancement social », selon l’ancien député.


D’ailleurs, Maroun Boustani, un cousin, revient sur sa capacité à « concilier les opposés, avec un immuable optimisme ». Et ce sourire, qui contenait ses tourments, est assimilable à « la vérité en politique » (thématique exploitée par le professeur John Keane, chargé de conférences à l’université de Sydney, à l’ouverture du colloque).
Notons enfin qu’une table ronde a été consacrée aux initiatives d’Émile Boustani dans le monde des affaires, modéré par la journaliste Violette Balaa, avec la participation de l’ancienne ministre Raya el-Hassan ; Fouad el-Khazen et Georges Hajj (société CAT pour la construction, fondée par Boustani) ; Talal Chaer (Dar al-Handassa) ; Aziz Seriani (le groupe al-Alyan); le journaliste Salim Nassar ; Georges Zakhem (Zakhem Construction) ; Ayman Azfari (Petrofac) et Samir Lahoud (Lahoud Engineering).

 

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