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À La Une - Quatre questions à...

« Réduire la dépendance du Liban aux secteurs-clés, trop à la merci des ouragans politiques »

Samir Daher, conseiller économique du Premier ministre Nagib Mikati.

Samir Daher, conseiller économique du Premier ministre Nagib Mikati.

Après une année déjà économiquement difficile, le Liban a été de nouveau secoué par les derniers développements sécuritaires. De quelle manière l’économie a-t-elle été affectée ? Quelles sont les perspectives d’avenir ?
L’insécurité affecte de façon directe la confiance des gens et perturbe considérablement le climat des affaires, ce qui se manifeste à deux niveaux. Tout d’abord, auprès des investisseurs qui annulent, reportent ou décident d’entreprendre leurs projets sous d’autres cieux (bien qu’aujourd’hui les remous politiques et sociaux qui touchent la région ne rendent pas les pays du voisinage des lieux attractifs pour les investissements). D’aucuns, cependant, vont chercher un environnement accueillant plus loin, au-delà de la région, en Asie, en Afrique... Ensuite, l’insécurité touche les ménages qui, mus par la crainte et la prudence, augmentent leur épargne, au détriment de la consommation.
Investissement et consommation, les deux moteurs de l’économie, s’en trouvent donc affectés.
La sécurité affecte ainsi l’économie libanaise, largement tributaire du secteur des services, en particulier le tourisme qui est fortement sensible à la perception que les visiteurs se font de la stabilité et de la sécurité au lieu de leur destination, non seulement le pays mais la région entière. Comme le Moyen-Orient a été ces deux dernières années le foyer central d’instabilité à travers le monde, notre pays, inexorablement lié par la géographie à la Syrie, a été touché de plein fouet par le ralentissement, sinon la chute de l’activité touristique.
Quant aux perspectives d’avenir, préparons nous, sans toutefois nous y résigner, au fait que dans le court terme, notre économie pourrait bien continuer à faire face aux vents frontaliers qui ralentissent sa croissance, mais faisons en sorte que dans le cadre de nos politiques publiques, nous puissions offrir et maintenir le minimum de protection sociale aux groupes les plus défavorisés, qui sont les plus touchés par la crise.

 


Risquons-nous bel et bien de sombrer en pleine récession ?
La récession se définit par une contraction de l’économie (du produit intérieur brut). Une récession, je pense, reste loin de nous, puisque notre économie affiche des taux de croissance, certes faibles, mais toujours positifs. Cela dit, la crise syrienne et l’afflux toujours grandissant de réfugiés syriens qui en résulte, s’ils ne sont pas effectivement et prudemment gérés, pourraient représenter un choc économique qui peut peser lourdement sur la croissance, d’une part, mais aussi sur les finances publiques au vu de la demande supplémentaire sur les services publics (eau, assainissement, électricité, éducation, santé...).

 


Quelles solutions pour sortir de ces crises politico-économiques ?
Il est indispensable de s’atteler sans tarder au travail de fond qui porte sur la restructuration et la diversification nécessaire de notre économie afin de réduire sa vulnérabilité aux chocs et sa dépendance à des secteurs-clés (tourisme régional, services) qui restent fortement à la merci des ouragans politiques qui secouent périodiquement, et depuis trois ans et de façon continue, notre région. Il faut repenser notre modèle économique et le réorienter, et d’aucuns le font déjà, dans une direction qui, lentement mais sûrement, ferait évoluer notre pays vers un économie basée sur la connaissance et l’innovation, un modèle qui fait pleinement usage des ressources vives de la nation – dont en premier lieu une jeunesse hautement éduquée qui devrait alors être sérieusement formée dans les secteurs et professions qui sont demandés aujourd’hui et font l’objet d’offres sur le marché du travail. De plus, le redéploiement de l’économie, aujourd’hui largement concentrée dans le Grand Beyrouth, et sa ventilation sur l’étendue du territoire national, contribuerait à terme et de façon importante à renforcer la résistance de l’économie aux chocs, promouvoir le marché du travail, faire baisser les coûts de production, réduire les différences de revenus et améliorer l’équité sociale.

 

 

Que pensez-vous de l’appel des organismes économiques à la grève générale du 4 septembre ?
C’est là une initiative singulière, car d’usage, ce sont les travailleurs et non le patronat qui appellent à la grève. D’après ce que je comprends, les « organismes économiques » entendent par cette initiative lancer un signal d’alarme quant aux risques qui entourent, et selon eux menacent d’asphyxier, notre économie. Ils plaident en particulier pour le rétablissement de la sécurité et la formation d’un gouvernement – demande que tous les Libanais appellent de leurs vœux !
Sur ce dossier, rappelons quelques faits. Le Premier ministre, dans les mois qui précédèrent la démission de son gouvernement, avait mené de vastes consultations avec les organismes économiques, à qui il avait soumis pour commentaires et avis son programme de réforme économique et social. Les organismes, à leur tour, avaient à cette occasion présenté au Premier ministre une liste de propositions et revendications en 26 points allant des plus générales aux plus spécifiques. Le groupe de travail chargé par le Premier ministre de ce dossier avait commencé à élaborer les mesures qui pouvaient répondre à ces demandes, la plupart justifiées. Certaines de ces mesures portent sur le court terme, et pouvaient être décidées par de simples circulaires ministérielles, alors que d’autres demandent des mesures et reformes législatives et institutionnelles ne pouvant être mises en place que dans un plus long terme. L’effort pour mener à terme ce chantier continue et devrait être poursuivi par le prochain gouvernement.
Il ne fait toutefois aucun doute que les organismes économiques, et leurs éminentes instances dirigeantes, mesurent à leur vraie portée les retombées directes et indirectes sur l’économie libanaise de la crise syrienne, sans parler de ses implications sociales et politiques. De plus, le fait qu’un pays, en l’occurrence le Liban, doive accommoder sur son territoire un flux de personnes (refugiés ou autres) qui augmente sa population résidente de 30 % en l’espace de deux ans représente, au sens classique, un choc économique de la plus grande envergure, et qui risque de grever de façon très lourde son économie. Dans ce contexte, il sied de mesurer de façon très sereine quelle pourrait être la portée effective de cette grève générale et quelles mesures concrètes les autorités publiques pourraient prendre pour satisfaire les demandes formulées. Demandons aussi aux organisateurs du mouvement du 4 septembre quel est leur plan pour le 5 septembre ?

 

 

Pour mémoire

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