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À La Une - Le point

Malheur aux vaincus

Carré dans ses idées, plus logique – en apparence seulement – que le regretté père du cartésianisme, l’Occident ne s’y retrouve plus et en vient à répéter, comme une antienne, ce qui désormais lui tient lieu de ligne politique, énoncé en quelques mots : comment peut-on soutenir un mouvement séditieux qui a déclaré la guerre à un régime démocratiquement élu ? Du coup, voici la rigide Amérique, imitée en cela par l’Union européenne, qui entreprend de se pencher sur ses rapports avec le nouveau pouvoir mis en place au Caire le 3 juillet, et qui étudie les moyens de suspendre son aide sans vraiment la suspendre mais tout en la suspendant. En témoigne cette contorsion pas seulement sémantique fournie par Washington : arrêt de l’injection annuelle dans l’économie (250 millions de dollars) mais poursuite de la contribution au budget de l’armée (1,3 milliard de dollars). On excusera l’incapacité de l’Oncle Sam à comprendre les sinuosités politiques, religieuses, sécuritaires, sociales, économiques qui déterminent les comportements dans cet Orient complexe. D’autres qui s’y sont frottés ont juré qu’on ne les y reprendrait plus et se tiennent cois aujourd’hui, observant avec une morbide délectation les embarras du monde dit libre.


Mais aussi comment appréhender les événements dont la région est témoin ces deux dernières semaines, ponctués par les soubresauts qui agitent la terre des pharaons? Ainsi de l’Arabie saoudite qui a pris fait et cause dès les premières heures pour l’initiative du général Abdel Fattah el-Sissi au point d’ouvrir grands les cordons de la bourse et d’entraîner dans son sillage les féaux koweïtien et émirati pour un tour de table sans précédent, qui se chiffre à quelque 12 milliards de dollars. Riyad ne s’est pas contenté de faire montre de générosité : le prince Saoud el-Fayçal s’en va répétant, à l’intention des pays occidentaux qui rechignent maintenant à mettre la main à la poche, que « le monde arabe et islamique dispose de ressources qu’il n’hésitera pas à mettre à la disposition du Caire ». La Maison-Blanche n’ignore pas que si le déficit budgétaire égyptien a doublé en cinq mois, atteignant l’équivalent de 16,2 milliards de dollars, le royaume wahhabite, lui, disposait l’an dernier d’un surplus de 103 milliards. Commentaire d’un éditorialiste américain : « Il est arrivé aux pays du Golfe de promettre des aides (aux Palestiniens par exemple) sans pour autant passer à l’action. »... Quelqu’un devrait rappeler à l’auteur de ce jugement tout empreint de componction que les États en question ont déjà donné sans se faire prier et que, très probablement, ils continueront de le faire, si besoin est, pas uniquement dans un élan de solidarité avec des frères, mais essentiellement par haine pour d’autres frères, islamiques ceux-là. La contradiction, il faut la voir dans cette guerre soutenue par le berceau de l’islam pur et dur contre les Ikhwane, lesquels sont appuyés par un émirat, le Qatar, qui se veut ouvert sur le monde et en apparence libéral.


L’autre contradiction est dans ce tableau ubuesque d’un chef de l’État jeté en prison alors qu’il avait obtenu 51,7 pour cent des suffrages populaires lors de l’élection de juin 2012 tandis que son prédécesseur vient d’être blanchi d’une accusation d’enrichissement illicite mais non pas (pas encore ?) des charges de meurtre de manifestants et de corruption qui continuent de peser sur lui.


En attendant de voir comment Américains et Européens vont justifier leurs hésitations, la chasse aux islamistes a franchi un pas supplémentaire ces dernières quarante-huit heures avec une nouvelle vague d’arrestations qui n’a pas épargné le guide de la confrérie, Mohammad Badie, l’influent prédicateur Safwat Hegazy et le porte-parole du Parti de la liberté et de la justice Mourad Ali, arrêté à l’aéroport du Caire au moment où, barbe rasée et habits ultracools, il s’apprêtait à embarquer pour l’Italie. Le mouvement se trouve ainsi privé de ses dirigeants, emprisonnés ou en fuite, incapable, ainsi qu’il ne cesse d’en menacer, de mobiliser les foules de sympathisants. La répression n’a pas épargné un des pères du mouvement anti-Morsi, l’ancien directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) Mohammad el-Baradei, autorisé à regagner Vienne où il possède une maison à condition de renoncer à un quelconque rôle politique.


Les Frères musulmans renouent maintenant avec cette clandestinité qui, au bout de quatre-vingts ans, leur permit d’occuper les premières places dans la nouvelle et éphémère république née en 2011. Il est douteux cette fois qu’elle leur soit aussi bénéfique, marqués qu’ils sont par les désastres qu’ils ont engendrés ou qu’ils n’ont pas su éviter. L’histoire, affirmait un certain Louis Ferdinand Destouches dit Céline, ne repasse pas les plats.

 

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