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À La Une - L'Orient Littéraire

L'islam made in USA

Défenseurs de la liberté religieuse auto-proclamé, les États-Unis critiquent l'attitude des Européens à l'égard de leurs populations musulmanes, sans vraiment faire mieux. Dans les deux mondes, l’islam est devenu un objet d’interrogation et une source de discorde. Telle est la thèse (sous la direction d’Olivier Roy) de Nadia Marzouki.

© MangaGirl

Les musulmans sont présents aux États-Unis depuis la fin du XIXe siècle, mais une grande partie est récemment immigrée (45 % après 1990). Ils appartiennent plutôt à la classe moyenne aussi bien par leurs revenus que par le niveau d’éducation. Contrairement à l’Europe, ils ne représentent pas les travailleurs pauvres, et la société américaine a une plus maigre visibilité de la ferveur religieuse. De ce fait, après le 11 Septembre 2001, le discours dominant était celui du bon musulman américain distinct de l’extrémiste moyen-oriental, et, surtout, du musulman prolétarisé et stigmatisé des banlieues européennes. Barack Obama, lui, met l’accent sur l’appartenance des Américains et des musulmans à une commune humanité, définie par les mêmes espoirs et les mêmes craintes.

 

Le droit américain fait la distinction entre les croyances religieuses qui sont les relations entre l’homme et Dieu et les actes qui en découlent et qui, dans certains cas, peuvent être interdits (par exemple la polygamie chez les mormons). Cela demande une complexe exégèse de la part des tribunaux du premier amendement de la Constitution américaine.

 

Un tiers des mosquées américaines ont été construites depuis 2000. Dans ce cadre, on a eu une série d’affaires retentissantes. Des associations de quartier s’y sont opposées au nom des nuisances supposées pour le voisinage. Mais des groupes plus radicaux, proches de l’aile droite du Parti républicain et du Tea Party, vont jusqu’à affirmer que l’islam n’est pas une religion mais une idéologie, et donc que l’on ne peut pas invoquer le premier amendement. On invente aussi le principe que les musulmans doivent être soumis à un régime d’exception, à un degré supérieur de vigilance et de contrainte du fait de leur manque de loyauté supposée envers les États-Unis. On affirme que la civilisation américaine est judéo-chrétienne par essence et donc que l’islam est étranger par nature. Il n’en reste pas moins que tout se règle devant les tribunaux qui donnent raison aux musulmans, ce qui permet aux populistes de contester le rôle des élites administratives et judiciaires.

 

Encore plus surprenant est le mouvement anticharia mené par des personnalités comme Newt Ginrich qui plaide pour l’adoption d’une loi fédérale interdisant toute référence à la charia aux États-Unis. Il a fait grand bruit ces dernières années, en particulier au niveau local. Pourtant, cela ne correspond à rien du point de vue juridique et judiciaire. Des activistes pro-israéliens ont joué un grand rôle, mais comme les tribunaux ont rejeté la référence à l’islam, ils ont été contraints d’élargir l’interdiction à l’application de toute loi étrangère, ce qui a fini par inquiéter les juifs orthodoxes… Ce populisme islamophobe à tendance conspirationniste est la continuation de courants présents dans toute l’histoire américaine allant de l’anticatholicisme du XIXe au maccarthysme. À chaque fois, il s’agit de définir une certaine version de l’américanité et dénoncer les autres comme antiaméricains. Il est aussi lié aux groupes islamophobes européens qui évoquent le danger de l’« Eurabia ».

 

Paradoxalement, les États-Unis se sont dotés d’une législation défendant à l’extérieur la liberté religieuse. Ses inspirateurs étaient tout aussi bien des activistes chrétiens que des militants laïcs des droits de l’homme. Ce qui est mis en avant est une conception qui fait de l’expérience personnelle de la foi et de la croyance sincère l’essence de la religion, au détriment d’autres approches qui mettent l’accent sur la fidélité à certaines doctrines ou pratiques sociales. On insiste donc sur la foi et non sur les pratiques rituelles et les différents interdits, et on plaide pour la liberté de changer de religion, demande pressante des milieux missionnaires chrétiens. On rejette la vision collective des pays musulmans qui cherchent à faire de la diffamation des religions un délit, mais en même temps on critique la vision plus étatique des pays européens qui, au nom de l’histoire et de la culture, peuvent privilégier certaines religions.

 

Cet excellent livre se termine par une réflexion sur la place du droit qui conduit à définir et à imposer des normes de pratique religieuse. On pourrait dire aussi que l’on entre dans le monde fascinant du premier amendement qui établit à la fois la liberté religieuse et le droit de s’exprimer avec violence contre telle ou telle catégorie de la population, y compris en matière religieuse.

 

Loin de tout jargon, ce livre se lit avec plaisir en dépit de la complexité des sujets traités, et il enrichit notre connaissance des États-Unis d’aujourd’hui.

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Les musulmans sont présents aux États-Unis depuis la fin du XIXe siècle, mais une grande partie est récemment immigrée (45 % après 1990). Ils appartiennent plutôt à la classe moyenne aussi bien par leurs revenus que par le niveau d’éducation. Contrairement à l’Europe, ils ne représentent pas les travailleurs pauvres, et la société américaine a une plus maigre visibilité de la...

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