Rechercher
Rechercher

Culture

Avec Dieudonné Niangouna, l’Afrique s’invite au banquet avignonnais

L’imagination déchaînée du Congolais Dieudonné Niangouna, l’un des deux artistes associés de la 67e édition du Festival In d’Avignon, s’est déployée, avec « Shéda », dans le sable et la poussière de la carrière de Boulbon.

Une «Shéda» jouée dans une carrière donne davantage de force dans le spectacle.

Pendant quatre heures, la quinzaine de comédiens arpente un décor de fin du monde, sec et aride, figurant une Afrique qui oscille entre violence et poésie, entre folie et espoir. Le spectateur va assister à une sorte d’enterrement, foisonnant, joyeux, violent, de cette Afrique de toutes les douleurs. Comme un nettoyage par le vide, pour s’alléger de ce passé lourd, si lourd, et regarder vers demain, là où tout est possible, là où tout est à inventer!
«Tu sais comment on chasse le diable?» lance un personnage. «En coupant le pouce d’un nourrisson...» répond-il. Tout de go, le spectateur est plongé, sans préambule, dans le monde fantasmagorique de l’Afrique, de ses contes, de ses mythologies. Pour Shéda, Dieudonné Niangouna est revenu «aux grandes mythologies qui avaient bercé mon enfance, en particulier grâce aux récits de ma grand-mère», raconte-t-il dans l’interview qui lui est consacrée par le festival.
La carrière de Boulbon, lieu hors du temps et de la ville – à quelque 30 minutes en voiture d’Avignon –, a offert à Dieudonné Niangouna le cadre rêvé : un monde de pierre et de désert, aux couleurs passées, fades, poussiéreuses, auquel il n’a eu qu’à ajouter, de-çi, de-là, quelques éléments de décor: un forage, une mare aux crocodiles, un crocodile, une chèvre vivante, de grandes cornes de gazelle... Shéda ne pouvait que se jouer à la carrière de Boulbon. «Je savais, en commençant l’écriture de Shéda, que je créerai le spectacle dans ce lieu parfait pour un tel projet. Je l’ai donc toujours imaginé se jouant dans un désert de pierres, aride et sans eau», confirme Dieudonné Niangouna.
Pendant qu’un personnage parle, l’action théâtrale se déroule, presque en parallèle. Les comédiens – physiquement inlassables! – traversent la scène de part en part, crient, dansent, rient, se chamaillent... Une troupe de sauvages que rien ne semble devoir arrêter. Noirs ou blancs, hommes ou femmes, ils sont dans cette même agitation liée au lieu, l’Afrique, à la fois mère nourricière et mère assassine. Sur scène, cela donne un foisonnement parfois difficile à suivre. Pour peu que le spectateur essaye de comprendre rationnellement ou intellectuellement ce qui se passe devant lui, il est perdu. Pris dans une marée de mots et d’actions, il devra se laisser ballotter d’un fragment à l’autre, tantôt dans l’imaginaire du voyageur, tantôt dans l’histoire d’un personnage; tantôt dans la rêverie sauvage de l’action, tantôt dans un témoignage ou une dénonciation historique. Ce n’est qu’ainsi qu’il pourra rentrer dans le monde créé par Niangouna et ses acolytes.
L’écriture de Dieudonné Niangouna est féroce, mais non dépourvue de dérision, à l’image de l’Afrique qui l’a nourri. «Reste silencieux aux matières. Cache ta peine, cache ta haine. Ne te donne aucune raison de déchirer ton âme. Montre que tu es libre, et la douleur s’en ira», dit le chevalier blanc, dans le soucis permanent – un peu ridicule – qu’il manifeste tout au long du spectacle de montrer qu’il est fort, que rien ne l’atteint. Allant pour cela jusqu’à passer une grande partie du spectacle dans la mare aux crocodiles, immergé dans son eau, comme pour s’imprégner de l’invincibilité que cet animal totem de l’Afrique représente.
L’écriture de Niangouna peut paraître nombriliste, mais elle se penche, critique et irrévérencieuse, sur le monde dans lequel elle naît et croît. Pour preuve, un extrait du beau monologue porté par Dieudonné Niangouna lui-même, interprétant le voyageur: «Ils ont le mot “liberté” coincé dans le chignon comme une promesse de Dieu faite à Abraham, et ce pauvre con de mot suffit pour les enculer du matin au soir, pendant des siècles et des siècles, sans que le cerveau ne fasse un quart de tour, amen!» lance-t-il, avant de conclure par un tonitruant «attention, animaux hautement enculables!».
Loin de tout manichéisme, Niangouna saisit le «monde en diagonale». Pas un théâtre en ligne droite, mais un théâtre qui «traverse le monde comme un voleur, comme le disait et le faisait Genet», affirme l’auteur-metteur en scène. «Il faut s’engouffrer dans les égouts, grimper par les gouttières, s’engager dans les couloirs et les tunnels obscurs, la lampe-tempête à la main, pendant que le monde dort ou fait semblant de dormir», poursuit-il. «Il ne doit pas y avoir de “vérité” révélée, mais toujours des interrogations qui s’entrechoquent. C’est un jeu fragile, faillible et dangereux que celui auquel nous jouons au théâtre», conclut-il.
Un jeu qui ne laisse le monde ni dormir ni faire semblant...
Pendant quatre heures, la quinzaine de comédiens arpente un décor de fin du monde, sec et aride, figurant une Afrique qui oscille entre violence et poésie, entre folie et espoir. Le spectateur va assister à une sorte d’enterrement, foisonnant, joyeux, violent, de cette Afrique de toutes les douleurs. Comme un nettoyage par le vide, pour s’alléger de ce passé lourd, si lourd, et regarder...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut