Rechercher
Rechercher

À La Une - Le point

Dans les dunes du Sinaï

Le désert pour théâtre de guerre, il fallait y penser. Depuis le coup de force qui a permis à l’armée de déposer le président Mohammad Morsi, le front égyptien s’est déplacé de la place Rabiaa el-Adawiya au Sinaï où les accrochages ont fait ces douze derniers jours des dizaines de tués et des centaines de blessés. Hier même, un attentat a été perpétré dans la localité d’el-Arich contre un car transportant des employés d’une cimenterie. C’est l’œuvre d’un « groupe terroriste », a déclaré un porte-parole militaire égyptien, une accusation rejetée par les Frères musulmans pour lesquels il s’agirait plutôt d’un incident monté de toutes pièces par le nouveau pouvoir en place au Caire.
Alors, des salafistes affiliés à el-Qaëda ou des Bédouins ? L’important, c’est que aussi bien ceux-ci que ceux-là ont trouvé dans la péninsule, perdue par l’Égypte nassérienne lors de la guerre de juin 1967 et récupérée par le régime d’Anouar Sadate en vertu de l’accord de 1978, un terreau fertile d’où des coups sont portés au pouvoir en place, quel qu’il soit, dans le but (les premiers) de l’ébranler ou bien (les seconds) de lui arracher des avantages substantiels.


Les relations entre les 300 000 hommes répartis en dix tribus, régies par une organisation clanique, et le pouvoir central ont toujours été notoirement mauvaises. Les nomades sont accusés de versatilité dans leur allégeance, de recours à des trafics divers (contrebande de cigarettes ou même de drogue, d’armes, de travailleurs africains à la recherche d’un emploi en Israël). À cela, les intéressés répondent qu’ils ont toujours été ignorés par les divers gouvernements qui se sont succédé depuis 1952 et même bien avant ou, pis encore, méprisés. On prête ainsi à un responsable égyptien cette remarque éminemment désobligeante : « Pourquoi voulez-vous que je respecte une culture basée sur la tente et le chameau ? » D’où une méconnaissance totale, volontairement assumée, des us et coutumes en vigueur dans ce milieu par ailleurs d’un ésotérisme à faire pâlir de jalousie les sectes les plus secrètes.
À l’heure actuelle, laisse-t-on entendre, non moins de deux milliers de nomades, faisant l’objet d’accusations fantaisistes, croupissent dans les prisons égyptiennes en attendant un hypothétique procès. La crise économique aiguë surgie au lendemain des violences de 2011 qui devaient déboucher sur l’éviction de Hosni Moubarak a privé ces hommes de leur principale source de revenus : ce tourisme pratiquement inexistant ces jours-ci. Charm el-Cheikh, un « must » pour les visiteurs étrangers jusqu’à une date récente, ressemble à une localité fantôme, tout comme la Vallée des Rois et Guizeh.


D’abord immensité de sable, puis enjeu stratégique et enfin destination touristique de choix, le Sinaï se révèle maintenant centre géopolitique par excellence, bordé qu’il est à l’est par l’Arabie saoudite dont on redécouvre l’importance primordiale, à l’ouest par le canal de Suez, enfin au nord par le voisinage de l’État hébreu et de l’enclave de Gaza, véritable passoire par où transitent un nombre incalculable de marchandises peu ou prou licites mais surtout illicites. Depuis le 12 juillet, les hélicoptères Apache ont entrepris de faire la chasse aux islamistes qui infestent la zone connue sous le nom de Jabal el-Halal, dans le centre du Sinaï. Le commandement de l’armée avait pris soin d’en informer à l’avance Tel-Aviv, où l’on préfère ne pas reconnaître ouvertement que l’on est tout heureux de voir les Égyptiens accomplir la besogne.


Si la turbulence bédouine ne date pas d’hier, il reste que jamais elle n’a pris comme aujourd’hui l’allure d’un soulèvement en bonne et due forme. Le mouvement est soutenu – peu importe qu’il le reconnaisse ou qu’il démente un tel parrainage – par les diverses organisations qui ne se contentent pas de prêcher la violence mais vont jusqu’à l’exercer ; il profite en outre d’un subtil jeu de balancier pratiqué par l’État hébreu ; il lui est facile enfin de faire entendre sa voix, devenue soudain audible par la grâce du désordre ambiant. Ce n’est pas suffisant toutefois pour lui permettre de parvenir à ses fins. À condition que l’on sache en quoi consistent celles-ci. A-t-on affaire à des combattants qui entendent faire valoir leurs droits à une vie digne, à une reconnaissance par un État sourd à leurs revendications ? Ou bien à des mercenaires qui se vendent au plus offrant, en échange d’avantages matériels ?
Quoi qu’il en soit, la cause est juste, dans une certaine mesure à tout le moins. Ce sont les moyens utilisés qui paraissent douteux et qui rendent hasardeuse l’entreprise.

 

Lire aussi

Au Caire, Burns appelle à l’apaisement

 

Le désert pour théâtre de guerre, il fallait y penser. Depuis le coup de force qui a permis à l’armée de déposer le président Mohammad Morsi, le front égyptien s’est déplacé de la place Rabiaa el-Adawiya au Sinaï où les accrochages ont fait ces douze derniers jours des dizaines de tués et des centaines de blessés. Hier même, un attentat a été perpétré dans la localité...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut