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L’homosexualité féminine, « un choix » aux prises avec une société faussement émancipée - Société

L’homosexualité féminine, « un choix » aux prises avec une société faussement émancipée

L’homosexualité féminine, à l’instar de l’identité, ne peut se réduire à un schéma prédéfini. Homosexuelle, Chloé, 30 ans, est une femme qui a appris à mûrir au Liban.

Face aux pressions sociales, certaines Libanaises refont leur vie à l’étranger, d’autres finissent par se conformer au schéma traditionnel du mariage. Celles qui s’assument jusqu’au bout finiraient par abandonner l’idée d’avoir un jour un enfant.  (Photo tirée du blog tulle-andflora.tumblr.com)

Sur un campus d’Achrafieh, des éclats de rire dans une cafétéria bondée, où l’on repère un groupe de filles dont l’homosexualité affichée est devenue presque un trait. L’une d’elles, à l’allure androgyne, approche une étudiante attablée au travail, qu’elle ne connaît pas, lui demande du feu et noie son regard dans le sien. L’étudiante néglige ces avances à peine murmurées.


Sur une terrasse à Hamra, dans le bruit de la nuit, deux amies mettent en commun leurs réflexions sur la vie. Alors que l’une décrit l’intimité de son expérience d’homosexuelle et ses difficultés, l’autre l’écoute avec une curiosité qui remarque le ton grave, calme, parfois langoureux de son interlocutrice. Presque une invitation à laquelle, pense-t-elle, elle risquerait de ne pas rester insensible.


Dans un dortoir de Furn el-Chebbak, une adolescente prend contact avec une liberté qu’elle s’était habituée à réprimer dans son village natal, une liberté que sa colocataire parvient enfin à exalter. Elle rentrera en fin de semaine simuler devant ses parents un intérêt pour le mariage.


Une jeune Beyrouthine se laisse initier par une femme mûre à l’homosexualité dont elle a conscience depuis des années. Cette femme sera sa première histoire d’amour.

 

(Lire aussi : Au Liban, les homosexuels sont encore loin d’être tolérés)

 
Dans une ruelle sombre de la capitale, deux femmes s’enlacent. Traquées par un agent de l’ordre, elles se résignent au chantage de cet homme qui demande à les rejoindre au risque de les dénoncer, et lui donnent un pot-de-vin.
Les quatre murs d’un bar étroit d’Achrafieh vibrent au rythme tonnant d’une musique pop rock, où dansent des corps de même sexe, s’intensifient les rires des femmes en couples, et se promène le regard serein d’une belle femme, en habits larges masculins, adossée au mur.

« J’attendais de grandir pour me faire homme et l’épouser »
L’homosexualité féminine, à l’instar de l’identité, ne peut se réduire à un schéma prédéfini. Les manifestations d’un choix sont aussi nuancées que les motifs de ce choix et les facteurs externes qui l’auront préparé (Cliquez ici pour en savoir plus sur la théorie de l’homosexualité en tant que « choix »). Ces nuances sont d’autant complexes que la société libanaise elle-même est composite : si elle permet une émancipation sans limite, déterminée, défiante, cette émancipation reste ponctuelle, incomplète, car terrorisée, au sens psychologique, par des normes sociales traditionnelles, tenaces, qui continuent d’accorder à cette société un semblant de cohésion.

 

(Pour mémoire : « L’Orient des Campus » fait le point sur l’homosexualité)


Lorsque Chloé, 30 ans, professionnelle accomplie (l’on omettra, à sa demande, de mentionner sa profession), évoque son homosexualité, la clarté de ses mots reflète une observation méticuleuse de sa sexualité, dépouillée de mensonges, de refoulements ou de leurres. Son expérience permet presque de sonder l’homosexualité féminine à l’état brut. « À l’âge de 6 ans, j’aimais contempler du balcon de ma maison une femme, qui était ma voisine, dont je suivais les mouvements quand elle sortait de chez elle », explique Chloé, originaire d’un quartier du Kesrouan. « Je me suis promis alors qu’une fois adulte, je me changerai en homme et l’épouserai. » Ce n’est que plus tard, lorsqu’en zappant, « ma mère et moi sommes tombées par hasard sur une scène de deux femmes s’embrassant, que j’ai été soulagée d’apprendre que je peux l’aimer tout en restant femme ».


Au début de l’adolescence, l’attraction de Chloé pour les filles a prévalu sur les vaines aventures tentées avec des copains de passage, qu’elle s’était pris « par imitation sociale ». « Le copain était une forme de décor, d’accompagnement. » Dès sa première année universitaire, son « choix d’être homosexuelle » s’est confirmé lorsqu’elle a rencontré une femme de dix ans son aînée, avec qui elle entretiendra une relation de plusieurs années.

 

(Pour mémoire : L’ordre des médecins interdit la pratique du « test de la honte »)

 

« Blessée par l’incertitude des autres femmes »
Les relations qui suivront porteront une part de déception. « J’ai été blessée par des femmes qui m’induisaient en erreur sur leur homosexualité, me faisant vivre une belle histoire avant de me révéler leur préférence pour les mecs et me quitter. » C’est alors qu’elle a choisi d’aller découvrir le sexe opposé. « Qu’est-ce donc que l’homme ? »
s’était-elle demandé, tentant des relations « ludiques » avec des hommes qui étaient avant cela ses amis. « J’étais parfois stimulée, mais rien n’égalait ce que je pouvais ressentir devant une femme. La preuve, je ne suis jamais allée jusqu’au bout avec un homme », confie-t-elle.
« Certes, je ne blâme pas ces femmes qui m’ont blessée. Tiraillées dans leur choix sexuel, elles souffraient certainement plus que moi. Certaines ne savaient que répondre à des questions sur leurs orientations sexuelles et me dévisageaient avec un visage blafard, un regard vide », ajoute-t-elle avec une indulgence liée à sa perception holistique de l’être humain. « Je n’accepte pas d’être limitée à mon homosexualité. Qui je choisis de ramener au lit ne concerne que moi. Cet élément intime de l’identité devrait être considéré, selon moi, en dernier », affirme-t-elle.

 

(Pour mémoire : « Helem » se mobilise contre « le scandale de Dekouané »)

« Je ne veux rien imposer à personne »  
Si elle qualifie l’homosexualité de « choix », c’est parce qu’elle estime qu’il n’existe pas d’absolu immuable. « Ce n’est jamais blanc ou noir. Je suis parfaitement capable de me marier et même d’y prendre plaisir par moments, mais ce serait hypocrite et injuste pour le partenaire. » « Ma virginité, c’est avec une femme que je l’ai perdue », ajoute-t-elle, précisant que « ce n’est pas parce que je n’aime pas les hommes que je suis homosexuelle. Je suis une femme qui apprécie la compagnie d’une autre femme, c’est tout. » Entre ses amis, « pour la majorité hétérosexuels », Chloé s’assume « sans provocation » et critique aussi bien les préjugés sociaux (« Mais tu es jolie, comment se fait-il que tu sois homosexuelle ? ») et les homophobes, « qui, en réalité, s’identifient au comportement qu’ils dénigrent » ; que les homosexuels « qui font l’effort de montrer qu’ils sont homosexuels ». « Un hétérosexuel ne ferait pas cet effort », précise-t-elle, critiquant « les comportements poussés à l’extrême dans les rues ou les boîtes, comme pour se défouler après une longue répression ».

 

C’est pourquoi elle préfère « les bars “gay friendly” » aux bars réservés à une clientèle quasi exclusivement homosexuelle. Elle va jusqu’à renoncer à défendre la cause de la communauté gay au Liban, propice « au défoulement poussé à l’extrême ». « La société n’a pas la maturité suffisante pour reconnaître les droits revendiqués », insiste-t-elle, rappelant que les droits de la femme au Liban restent bafoués, et que le mariage civil demeure un combat qui est loin de s’achever. « Je n’ai pas de cause, et je ne veux rien imposer à personne. »


Mais la sérénité de Chloé n’a pas été sans combat, un combat intime sans doute, que l’on parvient à deviner au tournant de certaines expressions qui se glissent dans ses propos. « J’ai tenté les relations hétérosexuelles pour essayer de faire taire, peut-être, ce que je ressentais », confie-t-elle de passage. Orpheline de père, elle s’estime par ailleurs « chanceuse » d’être entourée d’une famille qui est loin du confessionnalisme et de la morale religieuse et sociale – une famille plutôt composée de femmes « malheureuses en amour », ce qui aurait peut-être, selon Chloé, contribué au développement de son homosexualité. Si sa mère ne lui pose pas de questions sur ses relations, c’est qu’elle a compris, selon elle, que sa fille était homosexuelle, mais « préfère ne pas en parler ouvertement ». Mais Chloé évoque sans s’y attarder « la pression sociale émanant de l’entourage élargi » qu’elle appréhendait au début de sa vie d’adulte, et ce sentiment de mener « une double vie » alors qu’elle vivait sa première histoire d’amour. Un sentiment qui sera apaisé par l’amitié qui a lié sa copine d’alors à ses parents, et le bonheur qu’elle a appris à vivre à ses côtés. Mais d’autres continuent de subir la contrainte de la double vie, qui contraste avec l’authenticité avec laquelle ils ont exploré leur être.

 

 

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