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L’homosexualité féminine, « un choix » aux prises avec une société faussement émancipée - Portrait

Dans l’intimité d’un couple, les mille formes de la féminité... et de ses souffrances

Cela fait plus de dix-huit mois que Roula (23 ans) et Hind (30 ans) vivent une histoire d’amour, l’une devenant le miroir de l’autre.

L’intimité entre femmes incarne le mieux la métaphore du miroir, « où l’on se découvre et se guérit à travers l’autre qui est le même ». (Photo tirée du site univers-l.com)

Si Roula a réussi à assumer sa bisexualité devant ses parents, la vie de Hind, elle, est scindée entre l’échappatoire de liberté que lui offre la capitale, où elle suit ses études et vit sa relation, et le conformisme patriarcal de son village du Sud, où elle s’est accoutumée à porter un masque pendant les fins de semaine où elle retrouve sa famille.
Deux personnalités distinctes s’expriment dans l’interview commune que ces deux jeunes adultes ont consentie à accorder à L’Orient-Le Jour, deux natures presque opposées qui s’entremêlent sur le chemin du bonheur individuel. Jeans et chemise ample, cheveux rasés, voix grave, robustesse qu’accentue une gestuelle carrée, Roula est souvent confondue avec un homme. « Cela joue parfois en notre faveur, puisque les gens nous confondent avec un couple hétérosexuel », lancent les deux femmes avec le sourire. Mais son apparence masculine contraste avec une profonde reconnaissance de sa féminité, qui sous-tend son orientation bisexuelle. « Depuis toute jeune, je me sentais portée naturellement vers les hommes et les femmes de la même manière à tel point que je n’ai jamais ressenti le besoin de le révéler au grand jour, de l’officialiser », explique-t-elle. « Je n’ai pas de préférences », insiste-t-elle encore, même si elle décrit aujourd’hui avec passion son « coup de foudre » pour Hind, qu’elle a vue pour la première fois autour d’un café pris avec des amies en commun.
Hind, plus réservée, moins éloquente, a un visage affable, aux traits orientaux. Brune aux yeux en amande, joues saillantes et lèvres légèrement charnues, elle est plus jeune que Roula et n’assume pas encore, avec la même solidité, son homosexualité. Si elle a l’apparence plus féminine que Roula, Hind n’est pas, comme sa partenaire, bisexuelle. Victime d’abus sexuel par un proche pendant son enfance, Hind a développé une forme de répugnance pour les hommes.
Alors que Roula « prend plaisir à avoir un corps de femme », Hind, quant à elle, avoue qu’elle aurait bien aimé « expérimenter la vie dans un corps masculin. Aurais-je le même caractère ? La même orientation ? ». Son homosexualité en soi, elle l’a perçue d’abord, à l’inverse de Roula, comme « une anomalie ». Mais consciente de cette orientation (elle évoque sa timidité inévitable devant une jolie fille), elle souffrait pourtant en silence, ne comprenant pas « pourquoi j’étais comme cela ».

« Fatiguée de
me cacher »
Tourmentée à 18 ans par son premier amour, non partagé, pour une femme, « je n’arrivais plus à réprimer ma douleur ». Sa sœur, seule confidente, l’emmène chez un psychothérapeute... «Mais mon rêve persistait, celui d’être avec une fille. Et ma présence à Beyrouth m’a permis de le réaliser. » Elle insiste sur le fait qu’il lui était devenu impossible, après sa première expérience avec une femme, de se retrouver avec un homme. « J’ai tenté l’expérience hétérosexuelle une seule fois à Beyrouth, mais je ressentais à nouveau, avec la même ardeur, le viol dont j’ai été victime », confie-t-elle calmement, avec un regard tendre, légèrement mouillé, mais d’une puissante fixité.
Si elle révélera ensuite à quelques amis, après le décès de son père, son orientation confirmée, elle vit toujours dans la crainte de sa famille traditionnelle. La mère de Hind connaît Roula, et refuse d’admettre l’homosexualité de sa fille, « elle vit dans le déni ». « Je sais qu’elle continuera de m’aimer en tout cas, mais je crains qu’elle ne se reproche, inconsciemment, de ne pas m’avoir assez protégée pendant mon enfance », ajoute-t-elle. Il existe toutefois une menace pesante, qu’elle exprime à peine, liée à la réaction que pourrait avoir éventuellement son frère s’il apprenait la vérité, la violence qu’il risquerait de manifester... Cette pression est partagée avec d’autres membres de sa famille, dont un cousin, homosexuel, qui lui a proposé de l’épouser pour couvrir leurs relations respectives. « Je suis fatiguée de me cacher... »

 « Des chaussettes
entre les jambes »
Le combat de Roula, qui a toujours vécu à Beyrouth, semble avoir été facilité par « l’ouverture d’esprit » de ses parents, d’autant que la bisexualité porterait de prime abord un coup moins dur aux attentes des parents, qui restent attachés à l’espoir de voir un jour leur enfant bisexuel opter pour l’hétérosexualité. Mais son parcours n’a pas été aussi simple. Habituée à ramener ses copines chez elle, sous prétexte qu’elles sont des amies, elle a été un jour surprise avec l’une d’elle au lit par son père. Le silence du papa, réfugié alors au salon, était lourd de questions, autant sur sa fille que sur lui-même sans doute. Roula l’a immédiatement suivi pour lui apporter des réponses, comme elle le fera ensuite avec sa mère. Une communication qui reste néanmoins, jusqu’à aujourd’hui, troublée par des confrontations ponctuelles.
Si Roula dispose de la liberté de défendre ses choix, ce qui manque à Hind, les deux femmes assument toutes deux, dans leur intimité psychologique et physique, et avec la même force, la nature de ces choix. Elles tournent par exemple en dérision « les stéréotypes et fausses spéculations » sur qui joue l’homme et qui incarne la femme dans les couples homosexuels, aussi bien masculins que féminins.
Hind est féminine, mais elle s’abstient parfois de s’habiller élégamment, faute d’en avoir envie. Elle ne met pas en doute son homosexualité, et « préfère ne pas penser » à ce qui pourrait advenir dans le futur. Sa résilience trouve un reflet dans la détermination de Roula, qui porte, sous une apparence virile, la sensualité d’une femme à l’écoute de ses envies, « sans provocation ni volonté de s’afficher ». Elle s’étonne que certaines femmes « fourrent des chaussettes entre les jambes pour paraître plus masculines en soirée ». Toutes deux « conscientes d’être femmes », elles se reconnaissent l’une dans l’autre, l’une devenant « le miroir de l’autre » (voir par ailleurs).
Si Roula a réussi à assumer sa bisexualité devant ses parents, la vie de Hind, elle, est scindée entre l’échappatoire de liberté que lui offre la capitale, où elle suit ses études et vit sa relation, et le conformisme patriarcal de son village du Sud, où elle s’est accoutumée à porter un masque pendant les fins de semaine où elle retrouve sa famille. Deux personnalités distinctes...